Chroniques

par laurent bergnach

Jacques Offenbach
Les contes d’Hoffmann

1 DVD Bel Air Classiques (2015)
BAC 124

Dans une taverne de Nuremberg, déçue de ne pas avoir l’attention absolue du poète Hoffmann, La Muse prend l’apparence de son meilleur ami, l’étudiant Nicklausse, et lui rappelle combien ses amours terrestres, qui le détournent de sa vocation d’artiste, n’ont pas été radieuses. Olympia ? Un automate que des lunettes magiques font prendre pour une jeune fille réelle. Antonia ? Une malheureuse perdant la vie à vouloir chanter quand une malédiction le lui défend. Giulietta ? Une courtisane damnée qui obtient sans contrepartie le reflet du poète, lequel jure de ne plus jamais s’éprendre. Enfin, synthèse de ces trois femmes, la diva Stella s’offusque de l’ivresse et de la confusion mentale d’Hoffmann et offre son bras à un rival. Seule La Muse reste fidèle.

On aura reconnu la trame des Contes d’Hoffmann, opéra fantastique créé à l’Opéra Comique, le 10 février 1881 – aujourd’hui l’un des ouvrages de langue française les plus représentés au monde, bien loin devant Le Docteur Ox [lire notre critique du DVD]. Déjà l’auteur d’une pièce éponyme écrite avec Michel Carré (1851), Jules Barbier puise chez le père du Chat Murr – entré en littérature par la critique musicale, puis par un premier conte évoquant l’Armide de Gluck (Ritter Gluck, 1809) – des histoires complètes (Der Sandmann, Die Geschichte vom verlorenen Spiegelbild, etc.) comme de simples personnages (Le Petit Zachée « à la cour d’Eisenach », le bossu Pittichinaccio).

Après celle d’Olivier Py, saisie à Genève en 2008 [lire notre critique du DVD], Bel Air Classiques propose aujourd'hui la vision de Christoph Marthaler, dans une coproduction de la Staatsoper Stuttgart et du Teatro Real, captée à Madrid en mai 2014. À mi-chemin entre profondeur et légèreté, dans la salle d’activité d’un quelconque établissement de soins (peinture académique, billard), le metteur en scène souligne divers degrés et symptômes d’un esprit en souffrance (tic nerveux, convulsion, reptation, etc.), tentant d’éviter l’illustration littérale d’un texte fort prosaïque, propre à nourrir la nostalgie d’expressions datées.

Offenbach meurt le 5 octobre 1880, à l’époque des répétitions. Puisque seuls prologue et premier acte sont orchestrés, Ernest Guiraud se charge du reste, en habitué de l’Opéra Comique et expert de l’exercice – ses élèves Dukas, Debussy et Satie en ont tiré des leçons ! Sans même parler des éditions remaniées, il existe aujourd’hui trois versions officielles de l’ouvrage, éditées par Antoine Choudens, Michael Kaye et Fritz Oser. C’est cette dernière, s’appuyant sur un manuscrit autographe réapparu en 1970, que joue Sylvain Cambreling, avec quelque rudesse parfois.

Quasi francophone – il chanta Les Huguenots jadis [lire notre chronique du 19 juin 2011], Eric Cutler (Hoffmann) livre un ténor sain, ample et coloré, incisif ou tendre selon le besoin. Le baryton Vito Priante (Lindorf, etc.) offre vaillance et rondeur aux personnages obscurs. Rivales de La Muse incarnée par Anne Sofie von Otter, laquelle manque parfois de soutien mais jouit d’un timbre agréable, nous apprécions Ana Durlovski (Olympia) qui possède la technique, la nuance et le don de composer un timide humanoïde, ainsi que Measha Bruggergosman (Antonia, Giulietta) au soprano chaleureux, charnu et expressif. Christoph Homberger (Andrès, etc.) et Jean-Philippe Lafont (Luther, Crespel) ne sont pas inoubliables, au contraire de l’efficace Chœur maison, préparé par Andrés Máspero.

LB