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Chroniques
Jacques Offenbach
Barbe-Bleue
Pour différencier celles de ses productions qui ne sont ni des opérettes – genre supposant une histoire sentimentale –, ni des opéras-comiques – eux aussi pétris de dialogues parlés mais pauvres en humour –, Jacques Offenbach (1819-1880) s’inspire du terme opera buffa, associé à nombres d’ouvrages de Rossini et de Donizetti, et promeut l’opéra bouffe. Les fidèles Henri Meilhac et Ludovic Halévy signent le livret de ses plus connus : La belle Hélène (1864), La vie parisienne (1866), La grande-duchesse de Gérolstein, La Périchole (1868), Les Brigands (1869), etc. C’est durant cette décennie féconde que Barbe-Bleue voit le jour, le 5 février 1866, au Théâtre des Variétés, un ouvrage que Laurent Pelly met en scène dans l’ancienne capitale des trois Gaules, du 14 juin au 5 juillet 2019.
Lors d’un échange avec Agathe Mélinand, en charge d’actualiser les dialogues – les références au temps de Napoléon III perdraient en saveur aujourd’hui… –, ce familier d’Offenbach précise son projet : « Barbe-Bleue est une parodie, avec une dimension un peu scabreuse et en tous cas érotique. L’enjeu pour moi, comme toujours d’ailleurs, est de la retranscrire pour le public d’aujourd’hui. Comment le personnage de Barbe-Bleue, qui prend tellement le crime à la légère, peut-il être perçu ? » (programme de salle). Dans une cour de ferme typique, on découvre les amours de Saphir et Fleurette, puis la quête de l’alchimiste Popolani et du comte Oscar. Pour satisfaire leur maître respectif, le premier doit trouver une rosière à ramener au sire Barbe-Bleue, tandis que le second a pour mission de retrouver la fille du roi Bobêche, jadis abandonnée dans son berceau. Le hasard permet à Oscar d’identifier en Fleurette la princesse, tout comme un tirage au sort désigne Boulotte, une délurée notoire, comme nouvelle épouse du veuf récidiviste. Après un passage mémorable au palais royal inspiré par quelque magazine dont les têtes couronnées sont les vedettes, la pauvre Boulotte se retrouve dans le laboratoire souterrain de son sinistre mari, tiroirs de morgue et table de dissection à demeure. Mais contre toute attente, l’heure de la vengeance va remplacer celle du crime !
Dans les décors réalistes de Chantal Thomas, habillés de même par Pelly et Jean-Jacques Delmotte, les chanteurs se mesurent à la prosodie souvent redoutable de l’œuvre d’Offenbach. On y apprécie le ténor nuancé d’Yann Beuron (rôle-titre), les graves puissants d’Héloïse Mas (Boulotte), la vaillance de Christophe Gay (Popolani), la vivacité de Carl Ghazarossian (Saphir), la fraîcheur de Jennifer Courcier (Fleurette), l’impact de Thibault de Damas (Oscar), la facilité d’émission d’Aline Martin (Reine Clémentine) et enfin les bougonneries de Christophe Mortagne (Roi Bobêche). La distribution compte également six artistes du Chœur de l’Opéra national de Lyon, en premières femmes de Barbe-Bleue et dans le rôle d’un courtisan en danger : Sharona Applebaum (Héloïse), Marie-Ève Gouin (Éléonore), Alexandra Guerinot (Isaure), Pascale Obrecht (Rosalinde), Sabine Hwang-Chorier (Blanche) et Dominique Beneforti (Alvarez). En fosse, Michele Spotti les accompagne avec une légèreté et une élégance cousines de la musique italienne de l’époque qu’il pratique souvent [lire nos chroniques de Don Pasquale, Il matrimonio segreto, Le bourgeois gentilhomme, Il signor Bruschino, Guillaume Tell, La fille du régiment et Beatrice di Tenda].
Intitulé Contes d’Offenbach, le film offert en bonus à ce DVD n’est pas à dédaigner. Reiner Eberhard Moritz y alterne des moments-clés de la vie du petit Mozart des Champs-Élysées, racontés par Felicity Lott, et de larges extraits de spectacles : La belle Hélène (Paris, 2001), Les contes d’Hoffmann (Bregenz, 2015 ; Paris, 2016), Orphée aux Enfers (Salzbourg, 2019) et ce Barbe-Bleue. L’équipe artistique de la production lyonnaise livre ses impressions sur le compositeur (Spotti, Pelly, Beuron, Mas, Gay), mêlées à celles de divers chefs d’orchestre (Enrique Mazzola, Kent Nagano) et metteurs en scène (Barrie Kosky). Passionnant à suivre dans son raisonnement, le natif de Melbourne met l’accent sur un père fin connaisseur de la tradition klezmer et des mélodies de synagogue. Son héritage mena le fils vers « une forme parisienne de plaisir dionysien », lequel annonce Dada et la comédie musicale.
LB