Chroniques

par michel slama

Jacques Offenbach
airs d’opéra

1 CD Alpha (2018)
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Avec un talent certain, Jodie Devos chante des airs d'opéra d'Offenbach

Le premier enregistrement en solo de Jodie Devos est consacré à une éblouissante anthologie d’airs de Jacques Offenbach dont nous commémorons le bicentenaire de la naissance en cette année 2019. Grâce soit rendue au Palazzetto Bru Zane et à Alexandre Dratwicki qui permettent ici de découvrir, aux côtés de pages célèbres, de superbes extraits du legs lyrique du Mozart des Champs-Élysées. De nombreuses partitions constituant ce disque furent reconstituées et éditées par le PBZ.

Comment s’y reconnaître dans ces classifications aujourd’hui démodées d’opérettes, opérettes-bouffe, opéras-bouffe et opéras-comiques que le compositeur d’origine allemande avait pourtant pris le soin d’annoter lui-même ? Par une pyrotechnie et un engagement personnel incroyables, Jodie Devos réconcilie tous les genres, et ce n’est pas sa moindre qualité. Sa belle voix de soprano colorature, à la technique superlative, peut tout enchanter des airs légers à ceux qui exigent plus de corps. Celui d’Inès dans Les bavards (1863), comme la Barcarolle des Contes d’Hoffmann (1881) qui demandent médiums et graves, lui réussissent aussi bien que les feux d’artifices plus coloratures. L’air d’Olympia, indispensable et attendu, Les oiseaux dans la charmille, est interprété à la perfection. Le soprano belge est aussi une diseuse et une comédienne hors pair. Elle émeut par une interprétation inspirée de Cachons l’ennui extrait du miraculé Fantasio (1872), construit comme une aria belcantiste à trois parties, l’ultime étant composée de vocalises et de roulades virtuoses. Le très rare Boule de neige (1871) fait à trois reprises apprécier le talent et le charme de la jeune chanteuse qui sait marier l’humour, la tendresse et la candeur. Les valses Souvenance de l’enfance, la romance d’Olga de l’Acte I et sa chanson de l’Acte II, Allons, couché, peuvent être rapprochées de la valse de Juliette du Roméo et Juliette de Gounod qui les a éclipsées et confinées au monde de la musique légère. Ce rôle réclame en effet un colorature particulièrement acrobatique qui réussit à merveille à Jodie Devos. J’entends, ma belle, est une valse-tyrolienne extraite d’Un mari à la porte (1859), autre résurrection que n’aurait pas renié Johann Strauss fils pour sa Fledermaus. L’inoubliable et redoutable Conduisez-moi vers celui que j’adore, extrait de Robinson Crusoé (1867), est une valse ensorcelante, indispensable dans cette compilation.

La valse est reine au Second Empire et sa version lyrique, aux acrobaties infinies, invite les prime donne à contribuer largement aux succès des œuvres. Un air virtuose chanté par une diva en vogue peut faire triompher une œuvre médiocre inconnue la veille. C’est bien ce qui différencie Offenbach des autres compositeurs qui résistèrent peu à l’épreuve du temps – cela s’appelle le génie… La preuve étant l’attachement qu’il avait à vouloir être reconnu aussi pour ses qualités de compositeur d’opéra et non de seul amuseur. En témoignent les géniaux Fantasio, Les contes d’Hoffmann et Die Rheinnixen (Les fées du Rhin), ouvrages dont le succès ne s’est pas démenti.

Offenbach eut la chance de rencontrer des artistes aux voix exceptionnelles et aux caractères théâtralement inspirés auxquels il offrit de somptueuses airs, aux thèmes envoûtants, dont nous retrouvons ici quelques pépites. On adule ces nouveaux emplois, alors qualifiés de chanteuse d’agilité, chanteuse à roulade ou première chanteuse légère. Hortense Schneider, sa muse et la créatrice de ses plus grands succès, était connue pour ses qualités vocales et son tempérament explosif. Sans la comparer à la créatrice de La belle Hélène, Jodie Devos s’impose comme le soprano lyrique colorature avec lequel il faudra désormais compter. Elle relève aisément le défi de porter au rang d’opéra romantique cette musique souvent méprisée.

Le Münchner Rundfunkorchester est un habitué de l’opéra romantique français du XIXe siècle. Le Palazzetto a souvent collaboré avec la brillante phalange bavaroise qui alterne légèreté et profondeur selon les diverses situations [lire nos chroniques de Cinq-Mars, Dante, Proserpine et Le tribut de Zamora]. Cet enregistrement offre également une page symphonique, l’Ouverture des Bergers (1865), où tout son talent peut s’exprimer. À sa tête, Laurent Campellone lui aussi rompu à l’art lyrique français [lire nos chroniques du 4 décembre 2012 et du 12 février 2017], accompagne avec verve, tendresse et style les premiers pas de notre délicieuse étoile montante. A star is born.

MS