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Chroniques
Jacques Offenbach
La Périchole
Cette nouvelle Périchole, superbe livre-disque numéroté édité par le Palazzetto Bru Zane, célèbre le bicentenaire de la naissance de Jacques Offenbach avec, toujours, ce même luxe d’une présentation très documentée que l’on connait aux publications du Centre de musique romantique française de Venise. La célébration de cet anniversaire a été confiée à Marc Minkowski qui, à son actif, avait déjà Orphée aux enfers, La belle Hélène et La grande Duchesse de Gérolstein, trois réussites incontestables.
Enregistrée sur le vif, lors des représentations données en octobre 2018 à l’Opéra national de Bordeaux, cette version a la particularité d’être interprétée sur instruments d’époque par Les Musiciens du Louvre, désormais habitués à ce répertoire. Même si l’on associe plus l’ensemble créé par Minkowski à la musique baroque, il accompagna son chef pour les trois enregistrements cités plus haut.
Cette Périchole s’appuie sur une édition critique élaborée par l’incontournable offenbachophile Jean-Christophe Keck, édition retenue par le chef français. Il existe en effet deux versions de l’ouvrage, l’une de 1868 en deux actes qui n’avait eu qu’un succès mitigé, plus pour son propos prompt à choquer la bourgeoisie du Second Empire que pour la qualité de ses mélodies. La seconde, en 1874, connut quant à elle un succès considérable qui ne s’est jamais démenti. Après les épisodes douloureux de la guerre de 1870 suivie de la chute de Napoléon III, protecteur et ami d’Offenbach, la Commune et la naissance de la Troisième République, l’œuvre ainsi enrichie d’un troisième acte et de nombreux airs, duos et trios entraînants, ne pouvait que séduire une population particulièrement éprouvée. Cette fois, l’histoire d’un tyran libertin qui laisse crever de faim son peuple et l’emprisonne par simple caprice ne dérangeait plus personne. L’égérie d’Offenbach, Hortense Schneider, créatrice de ses plus fameuses héroïnes déjà présente en 1868 à la création de la première mouture, fit un retour triomphal six ans après.
Marc Minkowski a opté pour un savant mélange entre les deux versions. Si sa Périchole est en trois actes, se rapprochant donc de la version de 1874, il s’y ajoutent des intermèdes orchestraux (en ouverture des Actes II et III) et des récitatifs, tandis que la trame est un peu simplifiée. Par ailleurs, le chef a supprimé certains dialogues et les Scènes 19 à 21 du III (duo et trio de la prison, mélodrame, final, chœurs et ariette des trois cousines, entre autres), ce qui est très dérangeant. Les versions existantes – dont celles de Michel Plasson avec Teresa Berganza, d’Igor Markevitch avec l’inégalée Suzanne Lafaye – les avaient conservées. Pourquoi ne pas avoir joint en annexe toutes les scènes coupées, y compris, celles de 1868 écartées par le compositeur lui-même ? Le minutage du double CD le permettait pourtant (1h43’).
Privée de l’urgence du théâtre, l’écoute s’en ressent particulièrement. Les dialogues parlés se succèdent de façon interminable et sont trop souvent surjoués de façon tonitruante. Même si les chanteurs réunis pour l’occasion sont d’excellents comédiens, l’auditeur reste dubitatif. Il est vraisemblable qu’un DVD aurait mieux rendu justice à ce spectacle qu’une captation peu flatteuse. La battue du chef oscille entre placidité, drame et violence, de la farce prosaïque au Grand-Guignol. Les fins d’actes sont soulignées par des percussions particulièrement présentes et assourdissantes. Le projet ne semble pas fonctionner. On a du mal à comprendre ce qu’apportent des emprunts musicaux à la variété, avec El cóndor pasa de Simon and Garfunkel et Le Lion est mort ce soir, chanson immortalisée par Henri Salvador…
Heureusement, le plateau vocal donne de vraies satisfactions. L’équipe est composée de jeunes et talentueux chanteurs français qui apportent une modernité et une liberté que seule la version Markevitch invitait en son temps. Alexandre Duhamel incarne à la perfection le rôle ingrat du vice-roi du Pérou, à la fois tyran cruel, sans état d’âme, et joyeux drille. C’est lui, le vrai triomphateur de cette gravure – on pense à Gabriel Bacquier, le grand baryton français qui incarnait Don Andrès de Ribeyra dans l’intégrale de Plasson. Il allie noblesse, verve et humour à un abattage de grand d’Espagne pouvant se transformer en « gentil geôlier » en toute crédibilité. Aude Extrémo possède une fort belle voix qui évoque plus un contralto que le mezzo-soprano attendu pour la chanteuse des rues. Cette Carmen, cette Dalila, incarne le rôle-titre avec une grandeur qui manque de simplicité et de gouaille. Par son côté hautain, elle a quelques difficultés à attendrir et amuser l’auditeur, ce que réussit parfaitement son compère Piquillo, l’incroyable Stanislas de Barbeyrac. Cet excellent Tamino et Don Ottavio – pour ne citer que ces rôles –, excelle aussi bien dans le répertoire classique que dans l’opéra bouffe. On le trouve ici très à son aise, livrant au rôle une dimension nouvelle : ce n’est plus un benêt ivrogne mais un personnage révolté, plein de fougue et décidé à se faire respecter. Le reste de la distribution est sans reproche. Les trois cousines Olivia Doray, Julie Pasturaud et Mélodie Ruvio sont cocasses et pleines d’entrain, tout comme les excellents Éric Huchet (Don Miguel de Panatellas) et Marc Mauillon (Don Pedro de Hinoyosa).
MS