Recherche
Chroniques
Jean-Baptiste Lully
Atys
C’est au souvenir de plusieurs amours contrariées que nous invite le prologue d’Atys, riche en allégories (Les Heures, Flore, Melpomène, Iris, etc.). En effet, le premier héros de la tragédie français à mourir sur scène et Sangaride s’avouent un penchant réciproque, alors même que la jeune femme est promise au roi Célénus, très épris. De son côté, la déesse Cybèle choisit Atys comme grand prêtre et objet de son affection. Comprenant qui le jeune homme aime vraiment, elle le fait envoûter par une divinité infernale. Prenant alors Sangaride pour un monstre, le héros la frappe à mort, puis se meurtrit à son tour, une fois la raison retrouvée. Afin que le souvenir de cet amour demeure vivace, Cybèle transforme son aimé en pin, arbre sacré « dont les rameaux sont toujours verts ».
Outre sa morale de la soumission dans une vie de cour, Atys est surnommé l' « opéra du roi », à juste titre. Approchant la quarantaine, soucieux de renforcer la puissance de l’État par la culture et de concurrencer ce phénomène social que devient l’opéra en Italie, Louis XIV choisit lui-même chez Ovide le sujet que Philippe Quinault aurait à mettre en vers pour Jean-Baptiste Lully. Après le ballet et la comédie-ballet, la tragédie en musique se développe donc en France à son tour, venant appuyer le projet politique royal dans la lignée de Cadmus et Hermione [lire notre critique du DVD]. Preuve du succès de l’ouvrage, sa création à Saint-Germain-en Laye, le 10 janvier 1679, est suivie d’un intérêt européen et de quelques parodies – tel l’Atys travesti de Denis Carolet [lire notre chronique du 14 mai 2011].
Demeuré populaire jusqu’en 1753 (au prix d’adaptations), Atys disparaît avec son créateur, pour des décennies. Si Malgoire enregistre Alceste en 1975 et Herreweghe Armide en 1983, c’est clairement l’Opéra national de Paris qui, à l’occasion d’un tricentenaire, redonne de l’intérêt pour les inventions de Lully. Et c’est la mise en relation de Jean-Marie Villégier, spécialiste du XVIIe siècle, avec William Christie qui fait renaître Atys, plutôt que Thésée ou Bellérophon. Créée à Prato (Italie) en décembre 1986, cette production fait l’objet d’une tournée triomphale et de plusieurs reprises (1989, 1992). Cette toute dernière recréation doit tout à Ronald P. Stanton, mécène de la Brooklyn Academy of Music, qui souhaitait revoir l’ouvrage avant la fin de sa vie.
Avec son talent habituel, François Roussillon garde la trace d’une représentation à l’Opéra Comique, au printemps dernier [lire notre chronique du 13 mai 2011]. En phase avec un chant hérité de la déclamation, les amoureux malmenés par Cybèle sont idéalement incarnés par Bernard Richter, Atys efficace, et Emmanuelle de Negri, Sangaride souple et chaleureuse, que soutiennent Marc Mauillon, Idas sûr, et Sophie Daneman, Doris un peu maniérée. Au Célénus instable de Nicolas Rivenq, on préfère le quatuor des songes magnifiquement mené par Paul Agnew (Sommeil), Cyril Auvity (Morphée) et Arnaud Richard (Songe funeste). Jaël Azzaretti (Mélisse) est agréable, et Bernard Deletré (Sangar) fort drôle. Malheureusement, la puissance de Stéphanie d’Oustrac (Cybèle) s’accompagne d’un timbre éprouvant.
Tandis que Chœur et Orchestre des Arts Florissants s’avèrent pleins de relief sous la direction chantante de leur chef attitré, la Compagnie Fêtes Galantes soigne la chorégraphie originale de la regrettée Francine Lancelot, historienne de la danse et fondatrice de la première compagnie baroque, en 1980. L’aventure Atys, commencée voilà près de vingt-cinq ans, est largement évoquée dans un bonus dépassant l’heure et demi, dans lequel interviennent Christie et Villégier, bien sûr, mais aussi le costumier Patrice Cauchetier, l’historien d’art Jérôme de la Gorce et quelques autres spécialistes de l’époque concernée.
LB