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Chroniques
Jean-Baptiste Lully
Alceste
Fort d’un privilège sur l’Académie royale de musique, accordé en 1672, Jean-Baptiste Lully (1632-1687) compose sa première tragédie en musique en collaboration avec Philippe Quinault (1635-1688), Cadmus et Hermione (1673), considérée comme le premier opéra français [lire notre critique du DVD]. Louis XIV s’étant montré, selon la chronique, « extraordinairement satisfait » du résultat, le duo de créateurs se retrouve rapidement pour concevoir une autre pièce du même genre, inspiré par Euripide. « Avec Alceste, écrit Jean Duron dans la notice du présent CD, ils voulurent une confrontation plus directe encore avec ce genre où s’illustraient si brillamment Corneille et Racine, remettant en cause, d’une certaine manière, ce lien avec le théâtre des Grecs sur lesquels ces grands dramaturges bâtissaient leur œuvre ».
Un prologue parisien, peuplé de nymphes, nous mène au cœur d’Iolcos, en Thessalie. Roi de cette ville, Admète s’apprête à épouser Alceste, un projet qui ne réjouit guère Alcide et Lycomède (roi de Scyros), tous deux amoureux d’elle. Avec l’aide de son confident Straton et de sa sœur Thétis, le second organise un enlèvement. Admète et Alcide se lancent alors à la poursuite du traître. La reine et sa confidente sont libérées mais l’époux victorieux, blessé dans la bataille contre Lycomède, n’évitera la mort que si quelqu’un consent à se sacrifier à sa place. Alceste se sent toute désignée et se poignarde. Alcide propose de la ramener des Enfers, à condition de pouvoir en faire sa compagne à leur retour. Diane et Mercure lui viennent en aide, et Pluton relâche la jeune morte. Finalement, attendri par leurs sentiments mutuels, le héros rend à Admète sa promise.
Répété à Versailles dans les appartements de Mme de Montespan, Alceste ou Le triomphe d'Alcide est créé à Paris, le 19 janvier 1674, dans un climat de cabale. « Cerbère y vient japper d'un aboi lamentable ! Oh ! Quelle musique de chien ! Oh ! Quelle musique du diable ! » lit-on à son propos. Tout ceci, écrit Charles Perrault, parce que « Lully avait lésé et blessé trop de monde ». Sont concernés, selon le conteur, auteurs de pièces à machines, comédiens de Molière, ainsi qu’ennemis de Quinault. À l’étranger même, on s’offusque d’une propagande belliciste, en pleine guerre de Hollande (1672-1678). Mais d’autres s’enthousiasment pour l’intégration fort réussie de la danse et du chœur, au service d’un sublime dont on pensait les Français incapables, si bien que l’ouvrage se donna jusqu’en octobre.
Enregistrés à la Salle Gaveau durant le mois de juillet 2017, neuf solistes donnent vie à notre tragédie, sous la direction limpide de Christophe Rousset à la tête de ses Talens Lyriques, dans divers climats (moins folâtres que compassés ou militaires). Judith Van Wanroij est à l’aise dans le rôle-titre, déjà entendue dans Armide [lire notre chronique du 26 juin 2015 et notre critique du CD]. Ses consœurs soprani sont Bénédicte Tauran (Thétis, Diane, etc.), au chant facile et tendre, et la cristalline Lucía Martín-Cartón (Nymphe, Ombre, etc.) [lire notre chronique du 11 avril 2018]. Ambroisine Bré (Céphise, Proserpine, etc.) est appréciée pour son mezzo agile et expressif.
Emiliano Gonzalez Toro et Enguerrand de Hys sont les deux ténors invités. Le premier (Admète, etc.) offre des moments délicats autant que colorés ; le second (Lychas, Apollon, etc.) s’avère soucieux de nuancer une saine vivacité – mais aussi parfois nasal et instable. Deux barytons dialoguent avec eux : Edwin Crossley-Mercer (Alcide), à la pâte ronde et généreuse, et Étienne Bazola (Straton, Éole, etc.), force tranquille sûre de ses moyens : souplesse, clarté, etc. Douglas Williams (Lycomède, Charon) jouit d’une ampleur onctueuse et ferme qui le rendent séduisant. Entre autres apprécié dans la musique du méconnu Falvetti [lire nos chroniques du 30 juin 2016 et du 25 janvier 2015], l’excellent Chœur de Chambre de Namur complète la distribution.
LB