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Chroniques
Jean-Baptiste Lully
Armide
Au commencement, le Verbe. En mai 1685, lorsqu’il rejoint Louis XIV chez sa favorite, Athénaïs de Montespan, le poète Philippe Quinault (1635-1688) propose au souverain trois sujets susceptibles d’inspirer une prochaine tragédie lyrique en cinq actes. Le premier assemble Francs et colons romains dans la Gaule du IVe siècle, le deuxième décrit les amours contrariées du prince thessalien Céphale et de la princesse athénienne Procris, le troisième, enfin, conte l’impuissance de la magicienne Armide à retenir Renaud, paladin tenu au devoir guerrier et religieux. Épris de romans de chevalerie, le « nouveau Charlemagne » cautionne cet épisode tiré du Tasse (Gerusalemme liberata, 1581), dans le sillage héroïque d’Amadis (1684) et de Roland (1685) [lire nos chroniques du 24 janvier 2010 et 2 janvier 2004].
D’abord salué par la Gloire et la Sagesse car indifférent à la nièce du roi de Damas, Renaud délivre les captifs chrétiens du camp de Godefroy. Ivre de vengeance, Armide recourt aux démons infernaux pour faire périr le chevalier. À sa vue, elle y renonce et convoque en vain la Haine pour chasser l’Amour naissant. Un temps soumis aux plaisirs frivoles proposés par l’enchanteresse musulmane, Renaud est rendu à la raison par Ubalde et le Chevalier danois, partis à sa recherche avec des objets contrant les maléfices. Délaissée une fois pour toutes, Armide s’effondre, détruit son palais et prend la fuite. Parmi d’autres, Händel, Gluck et Rossini donneront aussi leur version de l’histoire [lire nos chroniques du 21 mai 2011, du 5 et 28 février 2017].
Versailles délaisse les divertissements pour s’enfoncer dans la dévotion ; c’est donc à l’Académie royale de musique (théâtre du Palais-Royal) qu’on crée Armide, le 15 février 1686. Salué comme le chef-d’œuvre d’une collaboration de longue date entre Lully (1632-1687) et son librettiste, l’ouvrage devient le premier de France à passer les portes d’un théâtre italien (Rome, 1690) et l’un des plus repris durant la première moitié du siècle suivant. Pour le « Secrétaire du Roy & Sur-Intendant de la Musique de Sa Majesté », c’est peut-être un ultime moment de gloire, lui qui voit son monopole contrarié par l’ampleur des concerts d’église et sa réputation ternie par une liaison avec un jeune page…
Enregistrés en concert à la Philharmonie de Paris, le 10 décembre 2015, neuf solistes se partagent dix-sept rôles. On apprécie le soprano vif de Judith van Wanroij (La Gloire, Phénice, Mélisse, Nymphe), le mezzo moelleux et ciselé de Marie-Claude Chappuis (La Sagesse, Sidonie, Lucinde, Bergère), mais c’est forcément la puissance charismatique de Marie-Adeline Henry qui marque les esprits, dans un rôle-titre qu’elle connaît bien [lire notre chronique du 26 juin 2015].
Côté masculin, on ne présente plus Marc Mauillon (Aronte, La Haine), Emiliano Gonzalez Toro (Artémidore) et Cyril Auvity (Chevalier danois, Amant fortuné) aux performances impeccables, comme souvent. Dans des rôles combatifs, Étienne Bazola (Ubalde) et Douglas Williams (Hidrot) montrent une saine ampleur, tandis qu’Antonio Figueroa (Renaud) possède la tendre clarté d’un guerrier attendri par la volupté – son endormissement au bord de la rivière le montre particulièrement délicat (Acte II, Scène 3). À cette distribution sans écueil ajoutons Christophe Rousset, à la tête de ses Talens Lyriques et du Chœur de Chambre de Namur (préparés par Leonardo García Alarcón et Thibaut Lenaerts). Le chef offre une animation ferme et altière, toujours soucieux de souples nuances.
LB