Chroniques

par laurent bergnach

Jean Cartan
mélodies

1 CD Hortus (2020)
183
Accompagné par Thomas Tacquet, le ténor Kaëlig Boché chante Cartan

Dans la famille Cartan, Henri, Hélène et Louis embrassent une carrière scientifique – les deux premiers devenant mathématiciens, comme papa, le troisième physicien –, tandis qu’on accorde à Jean d’épouser sa vocation musicale. Né à Nancy le 1er décembre 1906 et admis au conservatoire de Paris en 1924, il étudie bientôt la composition avec Widor, puis Dukas, partageant les conseils de ce dernier avec Messiaen et Duruflé. Malheureusement, la tuberculose l’oblige à de fréquents séjours à la montagne. Le jeune homme disparaît le 26 mars 1932, trop tôt pour avoir pu développer ses premières audaces sonores inspirées par Debussy, Roussel et Stravinsky. Parmi la douzaine d’ouvrages achevés qu’il laisse, on trouve nombre de cycles de mélodies, ainsi que des pages pour piano dont le présent disque se fait l’écho.

Parmi les premiers se comptent, écrits en 1927, Cinq poèmes de Tristan Klingsor, transcription chant-piano d’un cycle initialement conçu avec ensemble instrumental, et Trois chants d’été, qui s’appuie sur la poésie d’Arthur Rimbaud (Sensation) et celle de Franz Toussaint (L’orage favorable, Ngo Gay Ngy). Proche des Poèmes de Ronsard (Poulenc, 1925) par bien des aspects, Trois poésies de François Villon ne suscite pas l’enthousiasme, lors de sa création au Vieux Colombier. Sûr d’être sur la bonne voie, Jean Cartan écrit : « Ravel n’a sans doute pas compris qu’il est impossible de traiter les plus beaux textes autrement qu’en drame, et pas en mélodie, suivant leur mouvement, au lieu de leur en imposer un autre » (27 avril 1927). Cette liberté du jeune Lorrain se retrouve dans Deux sonnets de Mallarmé (1931) – loin des mélodies plus faciles de Fauré ou d’Hahn, selon l’avis du pianiste Thomas Tacquet (notice). Unique pièce singulière enregistrée ici, Psaume 22 (1925) est le seul exemple d’œuvre religieuse en petite formation dans le corpus de Cartan.

Hélas, l’intérêt musicologique de cette production est contrarié par une prise de son qui fait la part belle à Kaëlig Boché, effaçant presque l’accompagnement. Or, ce chanteur possède un ténor cru, étroit et sans grain dont le timbre affirme rarement des nuances [lire notre chronique du 11 mars 2019]. Il faut donc attendre d’autres plages pour goûter le superbe piano Opus 102 de Stephen Paulello et savourer, grâce aux doigts émérites de Tacquet [lire notre chronique du 21 février 2017], des instants de plénitude fluide et lumineuse.

Déposée à la SACEM en 1932, mais de conception plus ancienne, la Sonatine en trois mouvements (1925) retint l’attention d’Albert Roussel par sa maîtrise et son habileté. Puis la Sonatine (1931) remporte un beau succès dès la création, surtout dans sa version originale pour flûte et clarinette, empreinte de tradition française. Enfin, l’absence d’entraves du jeune Cartan se retrouve dans Hommage à Dante (1931) dont Roussel dit apprécier « une écriture très libre, parfois agressive », dans une célébration posthume (La Revue musicale, mai 1933). Gare à la confusion : le programme indiqué par la notice intervertit les deux sonatines !

LB