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Chroniques
Jean-Claude Yon
M. Offenbach nous écrit
Qui donc est ce nous à qui écrit Jacques Offenbach (1819-1880) ? Spécialiste d’histoire des spectacles au XIXe siècle, Jean-Claude Yon répond à la question dès le sous-titre de l’ouvrage qu’il consacre au compositeur dont il a raconté jadis la vie en détail (Gallimard, 2000), salué comme le plus parisien, le plus spirituel de son temps : Offenbach écrit à la rédaction du Figaro, et plus particulièrement à Hippolyte de Villemessant (1810-1879), sa tête pensante. Celio-ci fit d’un petit journal satirique paru en 1826 le quotidien que la bourgeoisie s’arrache pour ses contenus variés (grand reportage, chronique mondaine, critique culturelle, etc.). L’estime entre les deux hommes est telle que le patron de presse ne la cache même plus à son lectorat : « nous aurions mauvaise grâce à refuser à M. Offenbach, qui est notre ami, ce que nous accordons au premier venu, l’hospitalité de nos colonnes » (24 février 1859).
Parmi les trente-huit lettres adressées au journal durant trois décennies, signalons d’abord celle qui signe l’acte de naissance de l’opérette (1856). L’année précédente, le natif de Cologne quitta sans déplaisir un poste de directeur de l’orchestre de la Comédie-Française pour celui des Bouffes-Parisiens, son propre théâtre. Voulant promouvoir un lieu dédié à « l’art difficile de faire court et mélodieux » – nombre de ses créations dont Les deux aveugles, Le violoneux, Paimpol et Périnette et Ba-ta-clan y sont accueillies rien que la première année –, mais aussi épargner à de jeunes créateurs des amertumes qu’il a trop goûtées lui-même, Offenbach expose les règles d’un concours pour une opérette en un acte. Le 4 janvier 1857, Le Figaro annonce que le jury présidé par Auber (Gounod, Halévy, Thomas, etc.) vient de décerner le prix ex aequo entre Georges Bizet et Charles Lecoq, pour la mise en musique du Docteur Miracle [lire notre chronique du 14 mars 2017]. Opportunisme et empathie cohabitent souvent chez l’auteur du Roi Carotte, ce dont témoignent des représentations données au profit d’un fils de Mozart, des pauvres d’Étretat, des typographes de la presse parisienne, etc.
Offenbach aime la publicité, et seulement la bonne. Aussi trouve-t-on, au fil des ans, plusieurs motifs de contrariété qui l’engagent à s’exprimer publiquement, avec plus ou moins bonne foi. En 1856, il dénonce certaines pratiques de Charles Desolme, fondateur de L’Europe artiste. En 1858, il provoque une polémique autour de quelques lignes de Jules Janin, critique dramatique du Journal des débats, afin de sauver Orphée aux Enfers. En 1860, il réagit à une violente campagne ayant provoqué la chute de Barkouf. En 1867, il s’en prend à la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques, laquelle fustige les directeurs faisant jouer leurs propres œuvres. En 1874, il s’agace que Victorien Sardou, humilié par les faibles recettes de son drame La haine, en sollicite le retrait de l’affiche. En 1877, il dénonce les diffamations du sénateur Lucien Arbel qui met en doute son patriotisme. En 1878, il rend Albert Vizentini, nouveau directeur de la Gaîté, seul responsable de la faillite du théâtre cédé quelque années plus tôt. Non, décidément, Offenbach aime la réclame de qualité, et ses propres mots s’en chargent souvent, avec la franche complicité de Villemessant.
Quand le patron lui-même ne travaille pas à la popularité, sinon à la gloire de son ami – notamment dans un chapitre de ses Mémoires d’un journaliste (1867-1878) offert en prépublication aux lecteurs du Figaro –, toute une foule de collaborateurs s’en charge, relayant indifféremment une fête costumée, un voyage aux États-Unis ou une agonie qui s’égare du côté de la littérature. Sans cesse revient-on sur l’aisance d’Offenbach à composer, sur son esprit, son originalité, etc., sans éviter une hagiographie sainement contrebalancée par les courtes présentations d’Yon de la centaine de textes réunis. En effet, le musicographe en restitue le contexte (succès, endettements, etc.), signale les anecdotes sujettes à caution et rectifie des dates fausses. Attentif à privilégier la parole directe du violoncelliste arrivé à Paris à l’âge de quatorze ans, il place en annexe quelques textes sur des confrères recouverts d’encens (Berlioz, Halévy, Meyerbeer, Mozart, Weber) ou de poil à gratter (Adam, Wagner).
LB