Recherche
Chroniques
Jean Cras
mélodies avec orchestre
Élevé dans une famille nombreuse de Bretagne, Jean Cras (1879-1932) entreprend, comme son père médecin, une carrière brillante au sein de la marine – lieutenant en 1908, capitaine de corvette en 1918 jusqu'à devenir capitaine de vaisseau en 1924. Très apprécié pour la rigueur de son travail et ses trouvailles scientifiques (règle-rapporteur-Jean-Cras), ce pacifiste profondément chrétien subit en fait la vie militaire : « Quelquefois, il me prend des envies de tout lâcher et d'aller me promener n'importe où ! Goûter un peu le plaisir de ne rien faire. Et puis la raison prend le dessus : ce que tu ne feras pas aujourd'hui, il faudra que tu le fasses demain… Et je plie l'échine sous le devoir » (lettre à sa femme, en novembre 1921).
Car ce qui remue l'âme du marin, c'est son besoin de composer. Autodidacte analysant les partitions des maîtres, sa seule influence parisienne est celle de Duparc (rencontré en 1900) qui lui conseille la nourriture de l'esprit, l'élévation de l'âme plutôt que la seule éducation technique. Son statut d'amateur le destine avant tout aux cycles de mélodies joués au piano dans les salons bourgeois – Jean Cras en fait paraître très régulièrement –, mais certains seront cependant orchestrés, comme en témoigne cet enregistrement porté avec finesse et transparence par Claude Schnitzler et l'Orchestre de Bretagne.
Sept mélodies écrites entre 1901 et 1905 constituent le premier de ces recueils publiés, dont trois sont présentées ici dans la version avec quatuor à cordes. La poésie douce-amère de Rodenbach et de Verlaine offre l'occasion de moments tantôt mélancoliques, tantôt impressionnistes, portés par le baryton Lionel Peintre, un rien ampoulé. Mystique et symboliste, l'œuvre d'Edouard Schneider permet au musicien la composition d'Image (1921), arrangé pour cordes, comme les pièces précédentes, en 1923.
Bien avant l'opéra Polyphème (créé à l'Opéra Comique le 22 décembre 1922), Jean Cras met déjà en musique Albert Samain : de façon bien peu convaincante (notes écrasées, instabilité, etc.), le ténor Philippe Do livre les quatre longs textes qui forment Élégies (1910). Plus concis, plus concentré s'affirment ceux empruntés à Tagore, pour les six mélodies de L'Offrande lyrique (1920), suaves et sensuelles, ébauchant un orientalisme développé plus tard dans Cinq Robaiyat (1924). Ingrid Perruche s'y révèle juvénile et limpide – en particulier dans Lumière !, démarré a cappella.
Autres textes courts : ceux de Fontaines (1923), signés Lucien Jacques, qui induisent une économie musicale appropriée à ces sanctuaires de fraîcheur et de calme. Pour les évoquer, loin des crépuscules de tantôt, Lionel Peintre s'y montre plus dépouillé. Accompagné de ses deux partenaires, ce dernier interprète encore Trois Noëls (1928), sorte d'oratorio de poche dont la forme initiale est le dialogue – celui d'Adam et d'Ève, de Saint Joseph et d'un hôtelier, enfin celui d'un berger avec Marie. Un programme qui finit mieux qu'il a commencé.
LB