Chroniques

par laurent bergnach

Jean-Luc Caron
Giya Kancheli (1935-2019) – Les méditations musicales d’un sage

L’Harmattan (2023) 350 pages
ISBN 978-2-14-030630-3
Une biographie du compositeur géorgien Giya Kancheli (1935-2019)

À en croire plusieurs de ses derniers entretiens, le Géorgien Giya Kancheli (1935-2019) est mort en homme heureux, comblé par la présence d’une compagne au long cours, deux enfants et quatre petits-enfants, mais aussi par l’accueil désormais réservé à son travail, à travers le monde (Melbourne, New York, Lisbonne, etc.). Paradoxalement, cet homme heureux nous laisse une musique souvent qualifiée de triste ou de mélancolique, mais que son auteur juge avant tout « lente et tranquille », « volontairement très simple ».

Dans la première des trois parties qu’il consacre au natif de Tbilissi (encore nommée Tiflis en 1935), Jean-Luc Caron s’attache à mettre en relief les œuvres de son catalogue. Avant même une dizaine de pages, le musicologue aborde le Concerto pour orchestre (1963), le premier opus de Kancheli joué à la fin de ses études musicales – Iona Tuskiya fut son professeur de composition. Cet élan vers la grande formation, où il excelle, se confirme par l’écriture de sept symphonies, entre 1967 et 1986, et, par la suite, près d’une trentaine d’autres pièces conçues pour un orchestre symphonique ou chambriste. Parallèlement, il collabore au monde du théâtre (avec le metteur en scène Robert Sturua, autour de Shakespeare, Brecht, Beckett, etc.) et du cinéma (une cinquantaine de films, le plus souvent dans un but alimentaire). De cet immense catalogue destiné à des salles sans concert, Kancheli tire Simple Music for piano (2009), trente-trois miniatures qui enfanteront à leur tour quelques duos avec violon (2015), et le cycle Letters for Friends (2016), pour violon et orchestre à cordes. Comme le suggère ce dernier titre, le musicien tient l’amitié en haute estime : nombre de ses partitions portent en dédicace le nom de fidèles (Rostropovitch, Temirkanov, Kremer, etc.), à certains desquels survécut ce fumeur endurci, malgré sept attaques cardiaques.

Très brève, la deuxième partie offre un résumé des genres musicaux abordés par Kancheli, ancien passionné de jazz aux influences multiples (Bartók, Stravinsky, Chostakovitch, etc.) ayant développé un art personnel loin des directives de Darmstadt, à l’instar d’autres confrères (Pärt, Silvestrov, etc.). L’accent est mis sur un aspect peu commenté de sa liturgie, à savoir des passages d’une violence immodérée. Pour celui qui n’aurait pas quitté son pays natal (1991) si la chute de l’URSS n’y avait engendré un dictateur, elle symbolise une protestation contre toute forme de tyrannie, déjà mise en lumière par son unique opéra, Music for the Living (1984/1998).

Enfin, une dernière partie, se présentant comme somme d’annexes, regroupe des pensées que le lecteur n’avait pas encore croisées depuis le début du livre – « Ma musique exprime des sentiments, elle ne raconte pas d’histoires ! », etc. Elles sont suivies d’informations complémentaires sur Kancheli (caractère, santé, etc.) et sur une centaine de personnalités dont certaines donnent leur avis sur ce maestro du silence, comme le nomme Gidon Kremer. Plus spécialement consacrées à ses œuvres, d’autres pages recensent leur chronologie, leur présence au concert ou dans les studios d’enregistrement. Seront-elles encore jouées dans cinquante ans, comme en doutait leur auteur lui-même, ancien diplômé en géologie sans illusion sur l’érosion du temps ?

LB