Chroniques

par laurent bergnach

Jean-Noël von der Weid
Papiers sonores

Aedam Musicae (2016) 180 pages
ISBN 978-2-919046-38-6
Jean-Noël von der Weid cherche une entente entre mots et musique

Brillant essayiste, Jean-Noël von der Weid ne cesse de réfléchir sur la musique, notamment dans ses rapports avec d’autres arts : Le flux et le fixe (Fayard, 2012) analyse fusions et disparités avec la peinture, tandis qu’Orgies et bacchanales (Berg international Éditeurs, 2014) évoque la danse (entre autres choses). Son nouveau travail cherche une entente entre deux modes d’expressions éloignés sinon irréconciliables, les notes et les mots.

De Bedrossian (1971) à Pérotin le Grand (vers 1200), quarante-neuf compositeurs y cohabitent, se moquant de l’ordre alphabétique ou chronologique. Comme attendu de l’auteur de La musique du XXe siècle [lire notre critique de l’ouvrage], ceux du siècle dernier prédominent, nés dans sa première moitié (Cage, Crumb, Donatoni, Ferrari, Kagel, Ligeti, Mingus, Monk, Scelsi, Sciarrino, Stockhausen, Xenakis) ou sa seconde (Dusapin, Freedman, Léandre, Neuwirth, Oehring, Poppe, Rihm, Romitelli).

Chacun est présenté avec un art de la synthèse admirable, avant que l’auteur choisisse une œuvre de leur catalogue – enfin trois pour Xenakis, quatre pour Dusapin… ce qui renseigne un peu sur son (bon) goût. Celle-ci n’est pas décrite objectivement, ni traduite à travers le verbe, mais devient l’objet d’un texte soucieux de faire « sonner et chanter et danser les musiques dont ils émanent et s’inspirent », de mettre à jour sensations et troubles dont nous n’étions pas conscients.

Si Children’s Corner, The Fairy Queen, Money Jungle, etc. sont des titres appelant des images attendues, le musicologue déjoue nos prévisions, comme avec ce château estonien accolé à l’américain(e) Charleston, et surprend au moment d’évoquer des pièces peu signifiantes : celle de Mozart qui fait entendre « les scorpions en train de planter des peupliers nains », celle de Webern où « mille anges gris et secs se glissent dans l’espace adouci comme les grands hippopotames qu’on lance à la mer », etc.

Sans se limiter à une poésie visuelle volontiers surréaliste – outre les récurrents Circé et Strawinsky [sic], on croise ici les noms d’Artaud, Breton et Tzara –, ni à un glossaire aquatique facilement à l’esprit de qui détaille un flux sonore (nous pouvons en témoigner…), Jean-Noël von der Weid flatte l’oreille par des jeux sonores, souvent véhéments, tels Tremble Restif ! Même en mastic ! (Royer), Chassée cette triviale chaleur des tripes ! (Beethoven) ou Assez d’âmes fouaillées qui brament ! (Strauss).

Après avoir précisé que l’écrivain offre les coordonnées discographiques de sa version de référence (Boulez, Fricsay, etc.) et l’éditeur des liens vers les pièces évoquées, concluons avec ce passage associé à Bartók : « c’est comme ça la musique, elle vous frôle, nue comme la lyre, vous happe et vous frappe de mille fouets rieurs, on lui demande d’être claire, on la cherche “entre les lignes”, la musique, en vain, car ce serait écouter autre chose qu’elle […] ».

LB