Chroniques

par laurent bergnach

Jean-Philippe Rameau
Naïs

2 CD Glossa (2018)
GCD 924003
György Vashegyi joue Naïs (1749), un ballet héroïque de Rameau

Si pour Jean-Philippe Rameau (1683-1764) l’année 1749 s’achève avec la création de la tragédie lyrique Zoroastre, le 5 décembre, à l’Académie Royale de Musique [lire notre chronique du 8 août 2005 et notre critique du DVD], elle commence avec celle d’un ballet héroïque, le 22 avril, au même endroit. Il s’agit de Naïs, conçu en collaboration avec Louis de Cahusac (1706-1759), librettiste qui résista plus qu’aucun autre aux exigences du musicien – Les fêtes de Polymnie (1745), Les fêtes de l'Hymen et de l'Amour (1747), ainsi que Zaïs (1748). Quarante-huit représentations témoignent du succès rencontré par ce spectacle résolument populaire, ajoutant à la rage de ceux que contrariait l’omniprésence ramiste.

Comme le révèle Le Mercure de France, les deux artistes furent sollicités par les directeurs de l’institution pour « leur fournir le moyen de célébrer par quelque spectacle pompeux la paix que le roi vient de donner à l’Europe ». Sous-titré Opéra pour la paix, Naïs salue effectivement le second traité d’Aix-La-Chapelle (18 octobre 1748) par lequel s’achève la guerre de Succession d’Autriche (1740-1748). Pourtant, comme le rappelle Sylvie Bouissou dans sa biographie de l’organiste devenu novateur décrié [lire notre critique de l’ouvrage], la fin des combats s’accompagne d’amertume, le généreux traitement réservé aux vaincus rendant « indécente » la mort des milliers de soldats français tués.

Les trois actes de cette pastorale pittoresque reposent sur la figure de Neptune, sitôt passé le Prologue qui voit échouer l’invasion de l’Olympe par les Géants et les Titans, soumis à la Guerre et à la Discorde. Déguisé pour être aimé pour lui-même, le dieu des mers se rend aux jeux isthmiques de Corinthe. Il est épris de Naïs qui ne cesse de repousser les avances de Télénus et d’Astérion. Leur jalousie les égarant, ceux-ci périront d’avoir mal interprété un oracle de Tirésie, père de la nymphe. La sachant réellement éprise, Neptune révèle enfin son identité, faisant Naïs souveraine de son royaume aquatique.

Enregistrée en mars 2017 au Müpa de Budapest à l’initiative du Centre de musique baroque de Versailles (CMBV), la distribution vocale repose dans un premier temps sur les barytons Florian Sempey (Jupiter, Tirésie) et Thomas Dolié (Pluton, Télénus), vaillants, stables et charismatiques à souhait pour incarner des dieux. Reinoud Van Mechelen (Neptune) possède un ténor moelleux, source de vocalises en légèreté. La souplesse de Chantal Santon-Jeffery (Naïs) convinct plus que son timbre, parfois éraillé. La voix de Manuel Nuñez-Camelino (Astérion) s’avère aussi claire, chatoyante, que celle du mezzo-soprano Daniela Skorka (Flore, Bergère) est corsée, granuleuse. Philippe-Nicolas Martin (Palémon) et Márton Komáromi (Protée) complètent le groupe des solistes.

Fondateur du Purcell Choir puis de l’Orfeo Orchestra ici réunis, György Vashegyi offre à l’Ouverture de Naïs une nervosité presque brutale (Titans et Géants entassent les monts pour atteindre les cieux). Une fois l’Univers partagé par Jupiter et la paix établie, les diverses danses de l’ouvrage révèlent un chef sensible à la nuance, tour à tour artisan du relief (Rigaudon, Chaconne, etc.), tendrement enjoué (Gavotte, Tambourin, etc.) ou délicat (Sarabande, Musette, etc.).

LB