Chroniques

par laurent bergnach

Jean-Philippe Rameau
Les Indes galantes

2 DVD Bel Air Classiques (2017)
BAC 138
Ivor Bolton joue Les Indes galantes (1736), opéra-ballet signé Rameau

Après les opéras-comiques conçus avec Alexis Piron pour les foires Saint-Germain puis Saint-Laurent – L’endriague, L’enrôlement d’Arlequin (1723), etc. –, Jean-Philippe Rameau (1683-1764) fait donner Hippolyte et Aricie (1733), sa première tragédie, à l’Académie Royale de Musique [lire notre critique du DVD]. Simon-Joseph Pellegrin en est le librettiste, et Voltaire celui de la suivante, Samson (1734), interdite pour son amalgame de sacré et de profane. Le compositeur trouve alors un auteur moins sulfureux, Louis Fuzelier (c.1672-1752), couronné pour un coup d’essai qui attira tout Paris, Thésée ou La défaite des Amazones (1701). Le dramaturge collabora ensuite à divers ballets signés Bourgeois (1713), Campra (1718), Mouret (1727), etc., ce qui représente un avantage pour notre « tête à double croches » (dixit l’auteur de Candide) rêvant d’une partition plus légère.

Comme l’écrit Sylvie Bouissou dans sa biographie du Dijonnais [lire notre critique de l’ouvrage], l’opéra-ballet désigne « un spectacle composé d’actes détachés quant à l’action, mais réunis sous une idée collective ». Quelques années après l’alchimie opérée par Destouches et Delalande pour Les éléments (1721), l’exotisme justifie les quatre entrées des Indes galantes, ouvrage créé d’abord sans Les Sauvages, le 23 août 1735, puis sous sa forme définitive, le 10 mars 1736. En homme des Lumières curieux (histoire, géologie, etc.), Fuzelier montre avant tout l’universalité de l’amour, quelles que soient les différences culturelles au Proche-Orient (Perse, Turquie) et aux Amériques (États-Unis, Pérou). Par là même, il dénonce les préjugés de la civilisation européenne [lire notre chronique du 4 mai 2012].

Invité dans le cadre du Münchner Opernsfestspiele [lire notre chronique du 26 juillet 2016], Sidi Larbi Cherkaoui invente un « espace anachronique […] anamorphose de réalités contemporaines », conçu en collaboration avec Anna Viebrock. Concrètement, il réunit les éléments de trois lieux d’apprentissage assez universels (école, musée, édifice religieux), avec l’émigration comme conséquence à leur éventuelle destruction. Opéra-ballet oblige, le danseur et chorégraphe y privilégie le mouvement de douze membres de sa compagnie Eastman (fondée en 2010), dans une esthétique urbaine (acrobatie, chute, entassement, etc.). Si sympathique et colorée qu’elle soit, la valse du mobilier et celle des agents d’entretien lassent pourtant dès la première entrée, d’autant qu’elle détourne parfois de l’action principale, via une prise de vue complice.

Sur la scène du Prinzregententheater de Munich évolue également une dizaine de chanteurs dont la plupart jouent deux rôles. Chez les femmes, minoritaires, s’apprécient la virtuosité de Lisette Oropesa (Hébe, Zima), le soprano souple et stable d’Elsa Benoit (Émilie), ainsi que l’agilité nuancée d’Anna Prohaska (Phani, Fatime). Ana Quintans (Amour, Zaïre) séduit plus par le timbre que par la précision. Chez les hommes se distinguent les vaillants Goran Jurić (Bellone), Tareq Nazmi (Osman, Ali), François Lis (Huascar, Alvaro) et Mathias Vidal (Carlos, Damon). On goûte le ténor chatoyant de Cyril Auvity (Valère, Tacmas) et la fermeté de John Moore (Adario), baryton au souffle long. Detlef Bratschke a préparé le Balthasar-Neumann-Chor tandis qu’Ivor Bolton dirige l’orchestre du festival avec une articulation certaine, une tendre vigueur.

LB