Chroniques

par laurent bergnach

Jean-Philippe Rameau
Les fêtes de l’Hymen et de l’Amour

1 DVD Naxos (2019)
2.110393
Ryan Brown joue Les fêtes de l'Hymen et de l'Amour (1747) de Rameau

Après Piron, Pellegrin et Voltaire, Jean-Philippe Rameau ouvre son atelier à Louis de Cahusac (1706-1759), complice idéal de son esprit rebelle et inventif, pour Les fêtes de Polymnie (Paris, 1745), ballet héroïque qui salue la récente victoire militaire de Fontenoy. Pour preuve, une décennie plus tard, le dramaturge et théoricien fustigerait durablement certains héritiers de Lully, réticents à « mettre dans un exercice continuel la prodigieuse fécondité des art » : « les acteurs, les danseurs, l’orchestre, le décorateur, le machiniste ont crié au schisme, et presque à l’impiété, lorsqu’il s’est trouvé par hasard quelqu’esprit assez hardi pour tenter d’agrandir et d’étendre le cercle étroit dans lequel une sorte de superstition les tenait renfermés » (La danse ancienne et moderne ou Traité de la danse, 1754).

Au début de l’année 1746, Rameau et Cahusac travaillent à une nouvelle œuvre, Les dieux d’Égypte que, dans sa biographie du musicien, Sylvie Bouissou suppose destinée à célébrer une naissance royale [lire notre critique de l’ouvrage]. Or, le 22 juillet, Louis de France, fils aîné de Louis XV, perd sa jeune épouse en couches. La guerre de Succession d’Autriche impose un remariage rapide, si bien que des fêtes nuptiales débutent dès le 13 février suivant. Sollicité, Rameau conserve évidemment le matériau en cours – les trois entrées Osiris, Canope et Aruéris – et commande un prologue de circonstance, éloge convenu avant la survenance de l’aiguillon contestataire (refus de l’esclavage des peuples et de l’obscurantisme). Sous le nouveau titre Les fêtes de l’Hymen et de l’Amour, le deuxième ballet héroïque de nos humanistes est créé dans la salle du manège de Versailles, le 15 mars 1747. Il est reçu avec succès et, l’époque boudant alors le genre tragique pour la légèreté de l’opéra-ballet, donne lieu à de nombreuses reprises, intégrales ou partielles.

Filmé au John F. Kennedy Center for the performing arts (Washington), le 6 octobre 2014, le présent spectacle doit beaucoup à l’engagement de Ryan Brown, chef d’orchestre et directeur artistique d’Opera Lafayette, compagnie américaine spécialisée dans l’opéra baroque français [lire notre chronique de Lalla Roukh]. Si sa captation visuelle est perfectible, il n’en demeure pas moins digne d’intérêt, ne serait-ce que par la présence de trois compagnies de danse aux styles et costumes caractéristiques, qui subliment l’idée de rencontre et de mélange – y compris avec quelques créatures inattendues ! Tout particulièrement, il est plaisant de retrouver les codes de la danse classique indienne (kuchipudi, etc.) dans un climat sonore décalé. Chacune des entrées est mise en scène par la/le chorégraphe à sa tête : Catherine Turocy (The New York Baroque Dance Company), Anuradha Nehru (Kalanidhi Dance) et Seán Curran (The Seán Curran Company).

La distribution satisfait globalement, qui possède l’art du chant et la maitrise du français. Les soprani se succèdent, avec leurs qualités propres : Kelly Ballou (L’Amour, Égyptienne) qui se libère du trac une fois atteintes les notes les plus difficiles, Laetitia Spitzer Grimaldi (L’Hymen, Bergère) pleine de tendresse, Claire Debono (Orthésie, Orie) aux ornements périlleux et Ingrid Perruche (Myrrine, Memphis) infiniment expressive et musicale – avec Cher amant (Acte II, Scène 6), elle livre un des plus beaux airs du spectacle. Les ténors sont aussi excellents : Aaron Sheehan (Plaisir, Agéris, Égyptien) s’avère souple et clair, Jeffrey Thompson (Osiris, Aruéris) plus agile et lumineux encore, avec une prosodie évidente, tandis que Kyle Bielfield (Berger) brille par un aigu étonnement facile. Dans les autres tessitures, William Sharp (Grand-Prêtre) intervient avec un baryton sûr, mais François Lis (Canope) déçoit, plus ample, stable et nuancé durant les récitatifs que dans des airs souvent détimbrés.

LB