Chroniques

par laurent bergnach

Jean-Philippe Rameau
musiques de ballet

1 CD Aparté (2017)
AP 155
Rousset joue Rameau : Pygmalion (1748) et Les Fêtes de Polymnie (1745)

Sylvie Bouissou le rappelle dans sa biographie de Jean-Philippe Rameau (1683-1764) [lire notre critique de l’ouvrage], la naissance du ballet en un acte avec ouverture est liée au théâtre des petits appartements de la marquise de Pompadour (1721-1764), lequel accueille les créations de Zélindor (Rebel et Francœur, 1745), Ismène (les mêmes, 1747), Érigone (Mondonville, 1748) et Almasis (Royer, 1748). « Que l’acte de ballet ait été conçu pour être autonome ou qu’il soit détaché d’un ballet général », explique la musicologue qui cite, à juste titre, La Danse des Fêtes d’Hébé (1739) et Aruéris, issu des Fêtes de l’Hymen et de l’Amour (1747), « le genre présente de nombreux avantages puisqu’il peut être joué seul à la cour ou s’intégrer sous la forme de “fragments” à d’autres actes du même auteur ou d’auteurs différents dont la configuration peut évoluer librement ».

Depuis toujours admirateur d’Antoine Houdar de La Motte (1672-1731), librettiste d’ouvrages tels que L’Europe galante (Campra, 1697), Amadis de Grèce (Destouches, 1699) et Alcyone (Marais, 1706), Rameau s’intéresse à La Sculpture, cinquième entrée du Triomphe des arts (1700), un opéra-ballet signé Michel de La Barre. Futur duelliste de la Querelle des Bouffons (face au castrat Cafarelli, en 1753), l’avocat Sylvain Ballot de Sauvot remanie les vers originaux, évinçant l’accessoire pour raconter simplement comment Pygmalion, amoureux de la statue qu’il façonne, ignore les soupirs de Céphise. La statue s’anime, chante et danse. Dès lors, le ballet constitue le dénouement même de l’histoire et sa justification. L’œuvre est donnée à l’Académie Royale de Musique, le 27 août 1748, puis reprise maintes fois du vivant de Rameau (1751, 1753, 1760) [lire notre chronique du 20 aout 2017].

Dans le rôle-titre, Cyrille Dubois offre un ténor lumineux qui magnifie les ornements les plus vivaces comme les plus tendres. Déjà repérées dans l’univers de Lully, Marie-Claude Chappuis (Céphise) séduit par la sureté du chant, tandis qu’Eugénie Warnier (L’Amour) enveloppe l’auditeur d’une chaude ampleur [lire notre critique d’Armide et de Cadmus et Hermione]. Hélas, Céline Scheen (La Statue) vient gâcher ce bel équilibre ; sa voix a fait déjà l’objet de critique de notre part et mieux vaut ne rien ajouter [lire notre critique de Bellérophon et de Venus and Adonis]. Le Chœur Arnold Schönberg complète la distribution vocale, avec son talent habituel.

Revenons quelques années en arrière.
Fin 1745, le Mercure de France salue l’habileté de Louis de Cahusac (1706-1759) à « peindre un roi que la victoire vient de couronner de ses lauriers et qui aime son peuple autant qu’il en est aimé » – bien jaloux, Voltaire place parmi les « petits freluquets » le futur librettiste de Zoroastre (1749) et Anacréon (1754) [lire nos critiques du DVD et du CD] ! La bataille gagnée est celle de Fontenoy, contre l’Autriche (11 mai 1745), Les Fêtes de Polymnie, le ballet héroïque qui la célèbre (12 octobre 1745). Suite au Prologue (Mnémosyne exhorte les Arts à chanter les héros), on compte trois entrées : La Fable (les amours d’Alcide et Hébé), L’Histoire (Séleucos Ier cède Stratonice à son fils Antiochos) et La Féérie (au royaume d’Alcina, la magicienne d’Orlando furioso).

En seconde partie de programme, découvrons la suite pour orchestre qui en fut tirée. Si Pygmalion avait une fois de plus témoigné de l’élégance de Christophe Rousset à la tête des Talens Lyriques – de tout temps délicat, mais ici frôlant même l’intériorité –, de sa vivacité à rendre les passages dansés (chaconne, passepied, rigaudon, etc.), ces Fêtes l’amènent à nuancer toute la pompe d’une cérémonie royale, avec fierté et majesté.

LB