Chroniques

par laurent bergnach

Jean-Philippe Rameau
Hippolyte et Aricie

2 DVD Opus Arte (2014)
OA 1143 D
William Christie joue Hippolyte et Aricie (1733) de Jean-Philippe Rameau

Apparu tardivement à l’affiche de l’Académie Royale de Musique, Rameau (1683-1764) a cinquante ans lorsqu’il compose sa première tragédie lyrique, après trois opéras-comiques destinés à la Foire Saint Germain, en collaboration avec Piron – L’endriague, L’enrôlement d’Arlequin (1723), La robe de dissension (1726). Le 1er octobre 1733 est créé Hippolyte et Aricie, d’après un livret de l’abbé Simon-Joseph Pellegrin qui s’inspire en partie de la célèbre pièce de Racine, alors appelée Phèdre et Hippolyte (1677), elle-même guidéepar les Antiques (Euripide, Plutarque, etc.). D’une héroïne propre à exciter la compassion et la terreur, le tragédien rappelle qu’au moment de découvrir « une passion illégitime dont elle a horreur toute la première […], elle en parle avec une confusion qui fait bien voir que son crime est plutôt une punition des Dieux qu’un mouvement de sa volonté ».

La polémique accompagne les débuts d’un ouvrage souvent révisé (1742, 1757) et joué plus de cent fois jusqu’en 1767. En effet, non seulement Hippolyte et Aricie poursuit la joute publique entre Rameau et son détracteur Montéclair (1667-1737) – lequel sort du terrain théorique avec l’opéra Jephté, représenté l’année précédente –, mais, par son inventivité, « concrétise également une rupture culturelle en détrônant la suprématie exclusive de la tradition lulliste, ainsi qu’une rupture sociale en forçant le public à prendre parti pour ou contre ce « dangereux novateur », comme l’appelle d’Alembert », explique Sylvie Bouissou dans sa biographie du musicien (Fayard, 2014) [lire notre critique de l’ouvrage]. Après un premier contact désastreux, duquel émerge le sentiment de notes trop savantes et abondantes, la cabale va s’éteindre lentement.

Filmé en juillet 2013 au Glyndebourne Festival Opera, cette production confiée à Jonathan Kent fait suite à un Turn of the screw mémorable, en ce même théâtre [lire notre critique du DVD]. Loin du décor unique, « dépouillé et minimaliste » – on pense à Daphnis et Eglé, du même Rameau [lire notre critique du DVD] –, le metteur en scène choisit de « faire appel à tous les sens pour étonner et ravir le public, offrir ce qu’on appelait à l’époque baroque les merveilles ». Pour le spectateur contemporain, le royaume austère de Diane prend la figure d’une chambre froide, voire d’une morgue ; celui de Pluton d’une société d’insectes, mouches et araignées, vivant autour d’un compresseur de réfrigérateur. L’effet d’étrangeté est obtenu avec succès, sans trop s’éloigner du kitsch. Quant à eux, les ballets signés Ashley Page sont diversement passionnants.

Comme rarement, la diction française est respectée par des chanteurs internationaux dont, en premier lieu, le ténor Ed Lyon (Hippolyte), particulièrement souple et nuancé. Par son opulence vocale et son personnage passionné, Sarah Connolly (Phèdre) séduit plus que Christiane Karg (Aricie), néanmoins efficace. Habitué du rôle, Stéphane Degout (Thésée) offre des échanges stables avec François Lis (Pluton, etc.), tandis que nous apprécions la déclamation de Katherine Watson (Diane), l’agile Emmanuelle de Negri (Grande Prêtresse, etc.), le lumineux Samuel Boden (Mercure), le « furieux » Loïc Félix (Tisiphone) et l’aisance d’Aimery Lefèvre (Arcas). Nous aimons moins le grave sans corps de Julie Pasturaud (Œnone) et les imprécisions d’Ana Quitans (Cupidon). Le chœur est impeccable, tout comme William Christie à la tête de l’Orchestra of the Age of Enlightenment.

LB