Chroniques

par laurent bergnach

Jean-Yves Bras
La troisième oreille

Fayard (2013) 328 pages
ISBN 978-2-213-67249-6
Jean-Yves Bras publie La troisième oreille, une initiation à l’art de l’écoute

Connu comme directeur de la Documentation musicale de Radio France puis comme responsable artistique du Festival Chopin à Paris, Jean-Yves Bras est aussi l’auteur d’un passionnant Courants musicaux du XXe siècle (Papillon, 2007) [lire notre critique de l’ouvrage]. Toujours soucieux de pédagogie, il propose aujourd’hui une initiation à l’art de l’écoute, sous forme de dialogue avec une jeune Mademoiselle Croche qui souhaite s’instruire, en toute candeur (« ma grand-mère adore André Rieu »…). La raison de ce traité subjectif, mais enrichi de données objectives, part d’un constat très simple :

« on nous a appris à manger, à marcher, à lire, à compter, à regarder, à nous orienter, que sais-je, mais on a oublié de nous dresser les oreilles,de nous apprendre à écouter, à construire, à structurer notre audition. Il ne s’agit pas de refouler le plaisir de l’écoute, mais plutôt de la contrôler et, si possible, de l’exalter en l’enrichissant de quelques connaissances qui restent trop souvent le pré carré des musiciens professionnels ».

Conçu en neuf chapitres, La troisième oreille commence par définir la musique savante comme l’art des sons, soumis à six critères essentiels (durée, hauteur, couleur, puissance, localisation, association). L’histoire de son évolution nécessite de bien maîtriser quelques éléments eux aussi primordiaux (rythme, mélodie, timbre, etc.), parfois liés à des inventions (piston, métronome, etc.). On y croise une foule de compositeurs, de Palestrina à Boulez, et des moments-clés, telle la laïcisation artistique engendrée par la Renaissance, l’écriture d’une orchestration inamovible ou le chahutage de l’harmonie au XXe siècle.

Revenant à son sujet de départ, l’auteur propose alors de répondre à plusieurs questions : Entendre ou écouter ? Que faut-il entendre par écouter ? Écouter comment ? Pour se faire, il parsème son discours de données scientifiques (acoustique, neurologie) qui mettent en relief l’importance de la mémoire et de la pensée dans une écoute efficace, qui permette d’« intégrer tous les paramètres d’un langage musical dans une structure d’ensemble ». En définitive, plus le mélomane est actif (fouineur, discipliné, assidu), plus il affine sa perception ; et Jean-Yves Bras donne d’ailleurs quelque conseils pour stimuler la concentration.

Ensuite, l’auteur s’intéresse au trajet entre conception et perception (l’interprète est au centre), avec ce constat du désarroi face à une création pourtant indispensable : « la musique contemporaine maintient l’auditeur dans l’incertitude : elle ne rassure pas. Au contraire, elle ne cesse de questionner, d’ébranler ses certitudes. L’auditeur curieux est ainsi amené à TESTER SES RESISTANCES ». Ceci dit, il n’est pas tendre avec le sérialisme intégral – comme avec le free jazz, la chanson rythmique et la dynamique artificielle de certains labels ! Pour finir, Jean-Yves Bras propose Histoire de l’écoute, un chapitre foisonnant d’anecdotes sur l’attitude d’un public plus ou moins mélomane à travers les âges.

LB