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Chroniques
Jeanne Lamon et le Tafelmusik
Avison – Scarlatti – Vivaldi
Le label québécois propose un fort beau programme italien : Tafelmusik dirigé par Jeanne Lamon y interprète le Concerto en la majeur RV158 ainsi que la Sinfonia en sol majeur RV149 d’Antonio Vivaldi, de même qu'un Concerto d’Avison d'après Domenico Scarlatti. Le compositeur britannique Charles Avison (1709-1770) fut l'élève de Francesco Geminiani, grand violoniste et compositeur italien (né en 1687) émigré à Londres, puis à Dublin. Avison devint organiste, et écrivit dans le style de son maître de nombreux concertos. De même que Johann Sebastian Bach transcrivit quelques œuvres de Marcello et Vivaldi, Avison adapta de nombreuses pages de Geminiani, Corelli, Marcello et Scarlatti, dont ces mouvements de sonates qu'il assembla et développa pour former son Concerto n°7 en sol mineur (les parties lentes viennent de la Sonate K88 en sol mineur pour continuo, les rapides provenant des Sonates K17 en fa majeur et K19 en fa mineur pour clavecin). Dans ces œuvres concertantes, Jeanne Lamon insuffle une belle vivacité, comme par exemple dans l'Allegro molto du Concerto en la majeur, tout en faisant montre d'inventivité (vérifiable dans le doux Andante de la Sinfonia en sol majeur qu'elle rend tendrement énigmatique).
S'ouvrant sur une Sinfonia qu'on imagine facilement utilisable en tant qu'ouverture d'opéra, ce disque alterne des parties strictement instrumentales à deux œuvres majeures du répertoire baroque sacré, dont le solennel Salve Regina écrit par Domenico Scarlatti à la toute fin de sa vie, à Madrid (1757). Le contralto Marie-Nicole Lemieux, récompensée du 1er prix de la Reine Fabiola ainsi que du Prix Spécial du Lied au Concours Reine Elisabeth de Belgique en 2000, chante cette page avec des moyens immenses qui lui permettent de nuancer comme personne, dans un velours qui ne ternit jamais. Si son intervention dans Scarlatti saisit l'auditeur par une évidence et une simplicité troublantes, sa lecture du Stabat Mater du Vénitien développe une expressivité savamment jugulée par une retenue sereine qui désigne avant toute chose la destination pretextuelle de l'œuvre ; pas de théâtre, mais au contraire une sorte de ferveur concentrée en une prière posée. La voix domine avec spiritualité, sans entraîner la phrase dans des graves artificiellement colorés : elle obtient ainsi une étrange sensation de sonorité sombre qui survole avec une sorte de légèreté inattendue la partie instrumentale.
Nettement moins mobile que la proposition de Rinaldo Alessandrini (Opus 111), plus soignée que celle de Fabio Biondi (Virgin Classics) – pour ne parler que des parutions récentes –, la version de Jeanne Lamon parvient magnifiquement à fondre les timbres dans le chant, signant une lecture sensible.
BB