Chroniques

par michel slama

Johann Sebastian Bach
pièces pour piano

1 CD Mirare (2014)
MIR 264
La pianiste Claire-Marie Le Gay joue Johann Sebastian Bach

Claire-Marie Le Guay offre aujourd’hui une superbe compilation d’œuvres pour clavier de Johann Sebastian Bach qui ont la particularité de jalonner la vie du musicien. La très éclectique pianiste française aborde ainsi pour la première fois au disque l’œuvre du Cantor de Leipzig. De Haydn à Mantovani, en passant par Mozart, Liszt, Schumann, Ravel, Dutilleux, Escaich ou Goubaïdoulina, elle nous a toujours enchantés, au sens premier du terme. Le dernier enregistrement de notre magicienne ne fait pas exception à cette règle.

Dès les premières mesures, on entend Bach, tel qu’on l’a rêvé. À ce sujet, nous éviterons de nous interroger sur le débat stérile clavecin ou piano, la belle nous offrant une réponse idéale par une alchimie envoûtante faite d’humanité et d’émotion sereine. Elle nous guide loin des extravagances, des pseudos recréations artificielles et des approches scolaires minimalistes qu’on nous fait régulièrement subir. L’incomparable fluidité de son toucher allie élégance, tendresse et délicatesse. Elle possède les arcanes de cette musique savante, fruit complexe du mariage des cultures baroques germaniques, françaises et italiennes, qu’elle décode pour nous.

Après un extraordinaire Concerto italien BWV 971 virtuose et habité, qui désormais fera figure de référence incontournable et absolue, on reste dans le style italien avec le Capriccio BWV 992 « sur le départ de son frère bien aimé ». Les six brefs épisodes relatent les inquiétudes du jeune Bach à l’idée des dangers encourus par son frère aîné qui l’avait pris en charge et éduqué à la mort de ses parents. Ils sont rendus avec une sobre timidité et une simplicité douloureuse qui culmine avec l’Adagiosissimo, qui décrit les larmes et les lamentations de ses proches. Ces pages d’une délicieuse ingénuité d’un Johann Sebastian de dix-neuf ans sont magnifiées par le projet mûri de notre pianiste, tout comme la Sinfonia 11 ou l’Invention 14 qu’on a l’habitude de confier à des apprentis musiciens et qui atteignent ici des sommets de grâce et de séduction.

La Partita en si bémol majeur BWV 825 n°1 est européenne avant l’heure.
Elle représente la synthèse entre les différentes cultures d’un Bach quadragénaire qui a parcouru l’Europe du XVIIIe siècle, tout du moins par l’étude de partitions qui voyagent. Le musicien considère ces « Exercices pour le clavier », comme une suite de divertissements récréatifs pour les « amateurs ». Se succèdent ainsi à une Allemande (Allemagne), une Courante (Italie), une Sarabande (Espagne), deux Menuets et une Gigue (France). Là aussi, Claire-Marie Le Guay adapte idéalement son jeu à l’appréhension des différentes techniques indispensables à la réussite. Le niveau de difficulté extrême rivalise avec celui des plus grands compositeurs pour le clavier de l’époque, comme Rameau, Händel ou Scarlatti.

Pour finir, l’immense et majestueuse Fantaisie chromatique et fugue en ré mineur BWV 903 est interprétée avec la grandeur, la virtuosité et la douleur indispensables. Le musicien aurait composé ce chef-d’œuvre après le décès de sa première épouse, Maria Barbara, en 1720. L’art du contrepoint et de la fugue est porté à son sommet. Là encore, l’artiste reste inégalable dans l’intelligence et la maîtrise de pages complexes et mystérieuses, à la technique diaboliquement pernicieuse. Signalons la qualité extraordinaire de la prise de son subtile et harmonieuse du Steinway, accordé magistralement, qui restitue fidèlement le jeu, parfait.

Un très beau disque à réécouter à l’envi !

MS