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Chroniques
Johann Sebastian Bach – Ernest Bloch
Cantate BWV 140 – Avodath Hakodesh
Le récent label Helicon Classics étant celui de l’Orchestre Philharmonique d’Israël dirigé par Zubin Mehta lors de concerts publics, il était tout à fait approprié d’y consacrer une œuvre d’essence israélite et chère au cœur de cette grande et courageuse nation : le Service Sacré (Avodath Hakodesh) d’Ernest Bloch (1880-1959). Ce dernier est d’ailleurs encore loin d’avoir acquis la place qui lui revient comme l’un des compositeurs les plus importants de sa génération, et il serait vraiment grand temps de remédier à cette injustice. La raison en est probablement que, resté fidèle toute sa vie à un langage personnel parfaitement adapté à sa pensée, il n’a jamais éprouvé le besoin de « faire moderne » à tout prix, ni de participer à un quelque courant de la musique contemporaine.
Cet artisan sincère, d’une indéniable honnêteté musicale, fut considéré selon les circonstances comme un musicien suisse, juif ou américain. De fait, s’il est né à Genève et reçut sa formation musicale dans diverses villes d’Europe, la plus grande partie de sa carrière s’accomplit aux États-Unis ; par ailleurs, si le judaïsme imprègne certaines de ses partitions (notamment son admirable Schelomo pour violoncelle et orchestre qui, malencontreusement, occulte par sa popularité le reste de sa production), une grande partie de son œuvre en est totalement indépendante.
Jusqu’en 1912, le jeune Bloch passa par une phase de romantisme dont la Symphonie en ut # mineur (1903) et le drame lyrique d’après Shakespeare Macbeth (1909) sont les partitions les plus accomplies et représentatives. Vient alors le « cycle juif », la période la plus connue – ou plutôt la moins méconnue… – où le compositeur confie : « J’ai voulu exprimer l’âme hébraïque, complexe, ardente, agitée, que je sens vibrer à travers la Bible… ». C’est l’époque des Trois poèmes juifs pour orchestre de chambre (1913), des Trois psaumes pour voix et orchestre (1914), de la magnifique Symphonie Israël (1916) et du fameux Schelomo pour violoncelle et orchestre (1916), déjà cité. Enfin la dernière période, dont l’élément hébraïque sera pratiquement absent, est celle de la musique pure, qui verra naître la majeure partie de sa musique de chambre, ainsi que la Suite symphonique (1944), le Concerto symphonique pour piano et orchestre (1948), les trois Symphonies de 1952, 1954 et 1955.
Deux œuvres importantes constituent la transition entre ces deux dernières périodes : Voix dans le Désert pour violoncelle et orchestre (1936) et le Service Sacré (Avodath Hakodesh) de 1933, qui fait l’objet de notre chronique. Un peu dans la même démarche de spiritualité que celle du biblique Roi David d’Arthur Honegger ou du Service Sacré pour le samedi matin de Darius Milhaud, Ernest Bloch va élaborer son Service Sacré sous forme d’ample oratorio en cinq parties pour baryton, chœur mixte et orchestre, où s’insère çà et là le prêche du rabbin. L’œuvre suit librement l’office religieux du service basé sur divers Livres de la Bible. Ce qui la rend à la fois d’une grandeur intensément lyrique et très humaine, d’une indéniable puissance, c’est non seulement son association à la spiritualité hébraïque, mais également – et c’est particulièrement frappant – au chant grégorien et aux grands polyphonistes de la Renaissance.
Parmi les divers enregistrements de l’œuvre, il convient de citer (par ordre alphabétique) ceux de Maurice Abravanel (EMI), Leonard Bernstein (Sony), Ernest Bloch lui-même (Decca), Diego Fasolis (Musiques Suisses), Geoffrey Simon (Chandos). Avant l’apparition de celui de Zubin Mehta, c’était la gravure de Leonard Bernstein qui prévalait, haut la main, par sa somptuosité et sa puissance d’évocation, mais le titulaire du rôle du rabbin, Dr. Judah Cahn, a un accent américain impossible… C’est donc dorénavant cette version Zubin Mehta, captée en concert à Jérusalem en juillet 2008 avec la participation du baryton Thomas Hampson et du récitant Raphael Frieder, d’une conviction, d’une plénitude et d’une ferveur irrésistibles, qui en devient la référence indiscutable.
Faire suivre le Service Sacré d’Ernest Bloch de la Cantate Wachet auf, ruft uns die Stimme BWV 140 de Johann Sebastian Bach peut paraître incongru. Ce serait oublier que la formation musicale initiale de Bach était telle qu’il progressa ensuite sans professeur, par la seule étude des grands maîtres du passé, dont les polyphonistes de la Renaissance, et que les textes de cette cantate s’inspirent du Cantique des Cantiques de Salomon, le célèbre chant d’amour de la Bible. Composée en 1731, la cantate en sept parties est surtout connue grâce à l’utilisation du célèbre cantique en trois strophes de Philipp Nicolaï (1556-1608). Chacune des strophes est respectivement utilisée dans les mouvements n°1, n°4 et n°7. Centre de l’œuvre, le quatrième mouvement deviendra particulièrement célèbre dans sa transcription pour orgue sous forme de mouvement de sonate en trio, en tant que Choral du veilleur BWV 645, premier des six Chorals Schübler BWV 645-650.
Écrite pour soprano, ténor, basse, chœur et orchestre, cette cantate trouve ici, sinon sa version de référence, du moins une interprétation naturelle, fervente et attachante, à mi-chemin entre version traditionnelle et « à l’ancienne », mais sans les outrances qui affectent parfois les exécutions « baroqueuses ». Il convient de souligner la beauté vocale de l’ensemble, que ce soit des chœurs ou des solistes Talia Or (soprano) et Klaus Hager (baryton) ; seul le ténor Douglas Purcell, peinant dans des aiguës aux intonations parfois douteuses, n’est pas à la hauteur. Précisons qu’il s’agit d’une exécution de concert, enregistrée au même moment que le Service Sacré d’Ernest Bloch.
MT