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Chroniques
Johann Strauss
Die Fledermaus | La chauve-souris
Au moment où la grande Elisabeth Schwarzkopf choisit l'été 2006 pour nous quitter, la réédition de sa Chauve-Souris légendaire nous offre l'occasion de la retrouver dans ce répertoire d'opérettes qu'elle affectionnait tant. À l'instar de Maria Callas, elle parcourut la seconde moitié du siècle précédent, en illustrant la scène lyrique et le disque par des incarnations immortelles des grands opéras du répertoire allemand, de Mozart à Richard Strauss, laissant à son illustre consœur l'apanage du répertoire italien. Elle sut donner ses lettres de noblesses à l'opérette allemande, en forme de cross-over avant l'heure. Elle enregistra pour EMI – que son mari Walter Legge dirigeait alors – les plus fameux ouvrages de Johann Strauss, Lehár, Kalman, etc. aux côtés de grandes stars d'opéra, avec les chefs les plus renommés, comme Karajan, Matačić ou Ackermann.
Naxos profite de la fin des droits détenus par EMI pour nous proposer à prix budget un certain nombre de ces chefs-d'œuvre. Avec la première gravure de Karajan, l'auditeur se trouve plongé dans la Vienne des années cinquante, avec un cast d'un luxe qui sera difficilement égalé plus tard, si ce n'est par la deuxième version de Karajan où la marque anglaise Decca conviait au Gala du prince Orlofsky la fine fleur de son écurie de l'époque – Tebaldi, Berganza, Nilsson, Price, Sutherland, Corelli, entre autres.
Schwarzkopf compose donc ici une Rosalinde de grand luxe qui sait respecter les conventions de l'opérette et canaliser sa voix sublime. Ce qui surprend aussi, c'est la facilité avec laquelle la Diva, souvent taxée par la critique d'affectation et de préciosité, réussit à composer ce personnage de bourgeoise sensuelle et un peu canaille, avec un brin de sophistication.
Quelle drôle d'idée, en revanche, eut Karajan de choisir un ténor léger, Rudolf Christ, insipide et vide, pour incarner le prince Orlosky, plutôt qu'un mezzo-soprano ! Mise à part la belle version de Carlos Kleiber, où le malheureux chanteur de variétés des années soixante-dix, Ivan Rebroff, massacre le rôle du prince russe, il n'y a pas de trace d'un choix aussi aberrant. Même si cette option avait été prévue par Strauss à l'origine, elle nuit à la qualité générale de l'enregistrement, nous privant du plaisir de disposer d'un grand mezzo dans ce rôle de travesti. Le bonheur eut pu être complet s'il avait retenu Christa Ludwig, alors sous contrat EMI.
Mais ne boudons pas trop notre plaisir… Autour d'Elisabeth Schwarzkopf, rien moins que le très cosmopolite Nicolaï Gedda aussi à l'aise en italien, en français, en russe ou, ici, en allemand. Le grand ténor maison d'EMI, partenaire de Maria Callas et de Victoria de Los Angeles pour de nombreuses intégrales d'opéra, possède une voix d'un velours et d'une élégance naturelle qui fait mouche ici. Comment résister à la plus belle Adèle du répertoire en la personne de Rita Streich, soprano colorature d'une rare perfection, un peu oubliée aujourd'hui, mais présente dans de nombreuses intégrales chez DGG. Entre 1950 et 1970, elle incarna tous les rôles de soprano coloratures et lyriques allemands, dont les plus beaux mozartiens. Exceptionnelle de tendresse et de sensualité, cette voix, pour laquelle l'adjectif melliflue n'est pas usurpé, est ici éblouissante et on se dit qu'elle aurait très bien pu composer une grande Rosalinde.
Si les autres interprètes sont d'un excellent niveau, Karajan recueille tous nos suffrages. À la tête du Philharmonia Orchestra, formation anglais constituée par EMI pour ses enregistrements et dont Klemperer assurera la gloire internationale, le chef autrichien revisite cette musique à la manière d'un opéra, sans en sacrifier la légèreté et le champagne. Le cadeau Naxos, qui nous offre en complément des extraits historiques passionnants des vétérans mythiques que sont Richard Tauber, Lotte Lehmann, Elisabeth Schumann et Maria Ivogun, nous propose, en revanche une douloureuse comparaison en termes d'orchestres, d'un mauvais goût et d'un ringard qui donne encore plus de valeur et de prix au précieux témoignage d'un Karajan au meilleur de lui-même.
MS