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Chroniques
Johannes Brahms – Rudolf Karel
Sérénade Op.11 – Nonet Op.43
On a rarement l'occasion d'entendre la musique de Rudolf Karel, compositeur né à Plzen en novembre 1880, que ce soit au concert (malgré les récentes manifestations autour de la musique tchèque) ou au disque (tout juste un opéra gravé, chez Decca, dans la collection Entartete Musik, ou la présente pièce dans une anthologie consacré aux musiciens de Terezín par l'ensemble 2e2m chez Arion, c'est-à-dire pas grand'chose...).
Ici, l'ensembleAd Novem donne une interprétation dynamique et engagée du Nonet Op.43 (pour violon, alto, violoncelle, contrebasse, clarinette, flûte, hautbois, basson et cor), la dernière œuvre que le compositeur écrivit en captivité. Karel était venu à la musique assez tardivement, ayant commencé par étudier le droit. Il entre au Conservatoire de Prague à l'âge de vingt-et-un ans, pour devenir l'un des derniers élèves d’Antonín Dvořák. À partir de 1907 environ, son œuvre commence véritablement à se construire. Outre de nombreuses pièces de musique de chambre, Karel achève en 1909 une épopée symphonique de vaste dimension, Idéale Op.11, dans un ton plutôt pessimiste. Cinq ans plus tard, la Philharmonie Tchèque crée sa Symphonie pour violon et orchestre Op.20, puis Karel s'en va passer l'été en Russie, à Strawropol, d'où il apprend l'attentat de Sarajevo. La guerre bloque les frontières : on le suspecte d'être un espion autrichien, on l'arrête, et on l'envoie en Sibérie, d'où il parviendra à s'enfuir pour rejoindre la Légion Tchécoslovaque, recréant une activité musicale avec ses camarades. La révolution d'octobre 1917 bouleversera une nouvelle fois son existence. Tenace, Karel trouve toujours à travailler en tant que musicien, si bien qu'il écrira énormément durant cette période pourtant difficile.
La paix revenue, il retrouve Prague et écrit la Symphonie Renaissance. En 1923, il est nommé professeur de composition au Conservatoire, et se passionne peu à peu pour la direction d'orchestre. C'est ainsi qu'il abordera, du dedans pourrait-on dire, les grandes œuvres du répertoire, et surtout la musique de ces années-là, ce qui marqua particulièrement son écriture. L'intensité de son activité est étonnante durant l'entre-deux-guerres ; le principal de son œuvre sera alors composé, et Karel deviendra un acteur important de la vie musicale pragoise.
L'armée allemande envahit les Sudètes en 1938, puis toute la Tchécoslovaquie au printemps qui suivit. Karel devient un actif résistant contre le nazisme dans le rayonnement du groupe Kvapil-Krofta-Làny. Les patriotes trouveront régulièrement aide et refuge dans sa maison de campagne. Cela non plus ne l'empêchera pas d'écrire de la musique : son Ouverture Révolutionnaire pour l'anniversaire de la création de l'État Tchécoslovaque, œuvre conçue comme un symbole de l'opposition tchèque à l'occupation nazie, est créée en 1941. Mais la Gestapo démantèle son réseau, et arrête le musicien. Il sera emprisonné pendant deux ans, une faiblesse cardiaque lui valant toutefois des hospitalisations fréquentes durant lesquelles il rencontrera des médecins assez complaisants pour lui procurer discrètement des feuilles de papier toilette pour tracer des portées. C'est grâce à cette précieuse complicité que Karel esquissa les fragments de prochaines œuvres. Il lui fallut subir presque chaque jour des interrogatoires dans le but de recueillir de lui des informations décisives contre le groupe politique Kvapil-Krofta-Làny qu'il refuse de donner ; cette épreuve devait l'épuiser : il a plus de soixante ans, et ne trouverait pas la force de parfaire les fragments de son nouvel opéra, Les trois cheveux du vieux sage. Il est alors interné au camp de Terezín, au nord de Prague, où il esquisse sa dernière œuvre, le Nonet Op.43, quelques jours avant de mourir, en mars 1945.
Si l'on perçoit dans cette œuvre d'une belle unité formelle l'héritage de son maître Dvorak, on ne pourra que constater l'appartenance de Karel à son temps, et l'influence de ses aînés et contemporains. Ainsi le thème de l'Allegro con fuoco pourrait-il être intitulé « réminiscence d'Elektra ». On retrouvera également le Schönberg de la Kammersinfonie n°1 et de Pelléas et Mélisande dans le très lyrique Andante. L'ensemble s'édifie dans une forme cependant classique, tout comme Max Reger aimait à organiser sa musique à l'époque. Toutefois, si l'on perçoit des influences indéniables, comme celle de la musique de Zemlinsky qui fut directeur de l'Opéra à Prague de 1911 à 1927, on saura déceler dans cette page la trace des musiques populaires tchèques, et en cela Karel aura rejoint les préoccupations de Janáček. Qu'on ne s'y méprenne pas : cette musique a bien son style propre, et ne souffre d'aucune pâleur de personnalité. On ne saurait prétendre à expliquer ce qu'elle exprime, bien sûr, mais on reconnaîtra une inquiétude saisissante dans l'ostinato sinistre du premier mouvement.
L'ensemble Ad Novem signe ici son premier disque, proposant en ouverture de programme la bucolique Sérénade en ré majeur Op.11 de Johannes Brahms.
BB