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Chroniques
Johannes Brahms
pièces pour piano
Brahms, progressiste ? Le titre de ce nouvel album pourrait laisser perplexe le mélomane néophyte qui aurait imaginé le compositeur allemand plus traditionnaliste, conservateur, voire académique. En 1933 à l’occasion du centenaire de sa naissance, Arnold Schönberg, chantre du dodécaphonisme, avait étonné le monde musical en le définissant ainsi : « il fut un grand innovateur dans le domaine du langage musical et permit à ses successeurs des progrès illimités ».
Schönberg et la seconde École de Vienne se réclamaient de l’influence de Brahms et non de celle de Wagner qui méprisait très officiellement la musique du hambourgeois. Dès 1860, Liszt, Wagner et Bruckner se voulaient résolument tournés vers le futur, s’opposant alors à Brahms, Goldmark et Dvořák qui défendaient une conception d’une musique « nouvelle, pure et intemporelle ».
Matteo Fossi, qui approche la quarantaine, s’est imposé au fil des années comme un incontournable chambriste. Il a enregistré les premières intégrales de Brahms et de Bartók pour deux pianos. Il a par ailleurs fondé le Quatuor Klimt en 1995 et enseigne le piano au conservatoire vénitien Agostino Steffani. Le pianiste propose aujourd’hui un programme d’œuvres de Brahms parmi les plus célèbres, retraçant les grandes étapes de la vie du compositeur. Les Variationen über ein Thema von Robert Schumann Op.9 de 1854, en hommage à Clara, l’épouse de son mentor, sont les moins connues. C’est un jeune homme de vingt-et-un ans qui compose «des petites variations sur un thème à Lui, dédiées à Elle ». Schumann était déjà aliéné et interné. Naissante et grandissante était alors la passion platonique du jeune homme pour l’épouse du musicien qui devenait sa muse.
Les fameuses zwei Rhapsodien Op.79, toujours d’inspiration schumannienne, sont plus virtuoses. Brahms a quarante-six ans. Elles datent de 1879, et coïncident avec la période très riche de la composition de ses quatre symphonies. Enfin, le pianiste florentin offre une sélection de ces ultimes pièces très présentes au disque, testaments d’un compositeur sexagénaire : les sieben Fantasien Op.116 et vier Klavierstücke Op.119. Depuis Julius Katchen, le génial interprète légendaire et irremplaçable de la musique pour piano de Brahms, les enregistrements de ces pièces n’ont pas manqué. Nombreux sont les pianistes en mal d’inspiration qui n’avaient pas grand-chose à y raconter. Des extraits de cette musique sublime était souvent relégués en fin de concert, pour satisfaire un public friand de bis.
On est immédiatement captivé par la grandeur et l’intériorité de la présente interprétation. On se sent immergé dans une atmosphère à la fois sereine et mélancolique, délicate et sensible. Bien sûr, les pages virtuoses sont interprétées avec la force, le tempo et l’exactitude rythmique obligés. Le pianiste ne cède pourtant pas à la facilité d’un pathos enjôleur que l’alternance de pianissimo et de forte pourraient impliquer. Habitué aux débordements mélodramatiques de certains instrumentistes, l’auditeur pourra donc être décontenancé par le parti pris de l’Italien d’alléger ces partitions, en particulier les Intermezzi des opus crépusculaires. Matteo Fossi a élaboré et construit un projet inédit revisitant les pages les plus fréquentées de Johannes Brahms, alliant tendresse, retenue et intimité, que l’amateur éclairé écoutera dans sa continuité pour bien en maîtriser la progression. À quand une intégrale ?
MS