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Chroniques
John Adams
Doctor Atomic | Docteur Atomique
En 1942, suite à une lettre d'Albert Einstein au président Roosevelt annonçant que l'Allemagne nazie travaillait sur un projet de bombe A, les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada et des chercheurs européens se lancent dans une course contre la montre pour la concevoir les premiers. Projet Manhattan est le nom de code de ces recherches menées dans le plus grand secret, sous la direction du physicien Robert Oppenheimer et du général Leslie Groves.
En concevant le livret de l'opéra de John Adams, Peter Sellars a gardé à l'esprit cette question : qu'est-ce qui a poussé des intellectuels à concevoir la plus grosse arme de destruction de l'histoire de l'humanité ? Pour s'adresser à un public qui connaît le destin d'Hiroshima et de Nagasaki, le metteur en scène a choisi de revenir sur les dernières étapes du Projet Manhattan, soit l'expérience Trinity : le 16 juillet 1945, dans le désert du Nouveau-Mexique, à Alamogordo, a lieu la première explosion atomique de l'histoire. Constituée de plutonium comme celle qui détruirait Nagasaki, la bombe – surnommée Gadget – n'est pas lâchée par avion mais disposée dans une tour. Celle-ci est rasée par l'explosion tandis qu'un champignon de trois cents mètres de diamètre s'élève au-dessus d'un sable vitrifié.
Filmée avec une vivacité qui n'éclipse ni les visages des choristes, ni les chorégraphies de Lucinda Childs, la première scène décrit la jubilation patriotique qui suit la capitulation allemande. Le peuple semble prêt à tout pour mettre à présent le Japon à genoux mais, dans l'entourage même de Groves et Oppenheimer – Eric Owens et magnifique Gerald Finley, d'une voix ample et bien impactée –, certains avis dérangent. Connu comme le père de la bombe H, Edwar Teller – Richard Paul Fink – prédit une sous-estimation des dégâts provoqués par l'expérience ; le météorologiste Jack Hubbard – James Maddalena – redoute que la foudre frappe la tour ainsi que des ruissellements radioactifs ; enfin, le Capitaine James Nolan – Jay Hunter Morris – évoque les dangers de telles radiations sur les tissus vitaux. Autant dire que le souhait de Robert Wilson – Thomas Glenn – d'avoir comme « cible psychologique » autre chose qu'une ville ne pèse pas lourd dans un climat propice aux tensions.
Ce jeune physicien idéaliste réveille malgré tout la mauvaise conscience d'Oppenheimer, homme cultivé qui, dans les moments d'extrême intimité, cite Baudelaire ou John Donne. Il rejoint alors les univers féminins et paisibles que représentent sa femme Kitty – Jessica Rivera, au chant évident et limpide – et la nourrice Pasqualita – Ellen Rabiner –, Amérindienne de la tribu Tewa, acquise aux forces de la nature. Cette distribution sans reproche et la direction équilibrée de Lawrence Renes n'épargnent pourtant pas au téléspectateur l'ennui d'un deuxième acte qui étire le suspense sans réel ressort dramatique, finissant par l'étouffer.
« Aurions-nous pu débuter l'ère atomique avec des mains propres ? » demande Teller, résigné. Ayant travaillé sur des documents secrets rendus publics ces dix dernières années pour remettre à jour le problème de l'énergie nucléaire, Sellars semble lui répondre dans l'interview bonus : la différence fondamentale entre la Première et la Seconde Guerre mondiale, c'est la stricte inversion des proportions entre victimes militaires et victimes civiles. Tant que l'homme favorisera une réponse scientifique limitée à celle fournie par les secteurs socioculturels, il n'y aura pas d'espoir dans ce monde.
LB