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Chroniques
John Cage – Henry Cowell
pièces pour piano
Élève de Karl-Hermann Mrongovius à Munich, la pianiste Sabine Liebner intègre plus d’une classe de maître (Crumb, Feuchtwanger, Hokanson, Horszowski, Pollini, etc.) pour servir au mieux nombre de créations signées Brown, Cardew, Donatoni, Johnson, Neuwirth, Oliveros, Widmann et Wolff. Visionnaires, émotionnelles et sophistiquées, ses interprétations sont souvent citées en exemple, notamment à l’occasion d’enregistrements de Scelsi, Feldman et Ustvolskaïa. Le présent programme alterne strictement John Cage et son professeur de 1933 à 1934 (New York School of Social Research), Henry Cowell (1897-1965), pour qui « la musique moderne ne procède pas aveuglément ».
Initié aux violon et piano, à la musique irlandaise dans le cadre familial et à celle d’Asie lors d’escapades à San Francisco, Cowell commence à écrire des pièces à l’adolescence, telles Anger Dance (1914) et Dynamic Motion (1916) où percent déjà tendance minimalisme et usage du cluster. À Berkeley, il étudie sérieusement harmonie (Edward Stricklen), composition libre (Charles Seeger) et contrepoint (Wallace Sabin), sans laisser juguler son besoin d’explorer : technique du string-piano, mise au point du rhythmicon avec l’ingénieur russe Theremin (Lev Termen), musique aléatoire qui implique l’intervention des interprètes, etc. Pour faire connaitre le travail des avant-gardistes (Copland, Schönberg, Varèse, etc.), le pionnier créé la New Music Society (1925)et sa revue New Music (1927). De 1936 à 1940, son emprisonnement pour raison morale (l’artiste est bisexuel) ne freine pas son envie de composer, mais va l’affecter par moins d’audace, durant les quinze dernières années.
Chronologiquement, on trouve ici Three Irish legends (1912), triptyque assez sombre où les graves martelés exhalent l’inquiétude voire le funèbre. À l’inverse, Amiable conversation (1917) est jovial, d’une brièveté surprenante et d’un esprit évoquant ce Satie adulé par Cage [lire notre critique du CD]. Et puisqu’on parle du Vieux Continent, Vestiges (1920) s’amuse à en faire dérailler l’héritage – au diapason des expressionnistes ? –, de la même façon que The snows of Fuji-Yama (1922) s’empare des clichés japonais. Viennent ensuite des classiques de l’innovation pianistique, Aeolian harp (1923) et The Banshee (1925). En donnant une voix à la messagère de mort, l’artiste paraît annoncer l’électroacoustique, à base d’emprunts animaliers (baleine, éléphant). Enfin, comme son nom l’indique, Sinister resonance (ca.1930) présage quelque malheur lugubre et mystérieux. Or, la pièce fut jouée par son créateur au Bauhaus de Dessau, en 1931...
Premier Nord-américain à travailler à partir de la matière brute, Cowell ouvre la voie à Partch [lire notre dossier], Riley et Cage (1912-1992). « Le matériau de la musique est le son et le silence », insiste d’ailleurs ce dernier qui, comme l’aîné, multiplie les expériences : approches électroacoustiques (Imaginary Landscape n°1, 1939), vulgarisation du piano préparé (Sonates et Interludes, 1949) [lire notre critique du CD], happening (4’33’’, 1952), sans parler de son écoute de l’art extra-occidental et de l’acceptation du hasard.
Datant de la Seconde Guerre Mondiale, quatre pièces relativement percussives réclament un piano préparé : In the name of the Holocaust, Primitive (1942), Tossed as it is untroubled (1943) et The perilous night (1944), dont les six parties aux structures rythmiques différentes concentrent les acquis de la trouvaille à une époque de séparation sentimentale – illustrant la solitude et la terreur que chacun découvre quant l’amour devient malheureux. L’importance du motus chez Cage apparaît dans Soliloquy (1945), mais surtout dans Two pieces for piano (1946) qui oppose une première page timide car fragmentée à une seconde plus hardie. Terminons avec Dream (1948) que l’on préfère dans une approche moins rigide et prosaïque [lire notre critique du CD The transcendentalist].
LB