Chroniques

par laurent bergnach

John Cage
Silence – conférences et écrits

Contrechamps / Héros-Limite (2012) 288 pages
ISBN 978-2-940358-93-9
John Cage | Silence – conferences et écrits

Lorsque paraît Silence. Lectures and Writings en 1961, voilà plus de vingt ans que John Cage (1912-1992) écrit des articles et s’adresse en personne au public, souvent de façon inhabituelle – on pense à ses réponses préparées et délivrées sans égard pour la question posée, qui reflètent son engagement dans le Zen sinon l’héritage de Dada. À qui s’inquiète de rendez-vous si peu conventionnels, le musicien soucieux de féconder le monde des mots par celui du son répond : « je ne donne pas ces conférences pour surprendre les gens, mais par besoin de poésie ».

Sans respect chronologique, la musique est abordée soit de façon générale soit sous un angle précis. Dans la première catégorie, on note principalement Le futur de la musique : credo (1937/1958), Précurseurs de la musique moderne (1949), Musique expérimentale (1957/1958), Composition comme processus (1858) et Histoire de la musique expérimentale aux États-Unis (1959). Cage y défend évidemment l’art d’aujourd’hui, porté par des instruments (synthétiseur) ou procédés (bande magnétique, spatialisation) qui doivent construire le futur, et déplore certains formatages, attitudes et préjugés (« Pourquoi est-ce si difficile pour tant de gens d’écouter ? Pourquoi commencent-ils à parler lorsqu’il y a quelque chose à entendre ? »). Dans l’ensemble de ces écrits généralistes, on croise très souvent Earle Brown, Morton Feldman, Christian Wolff, David Tudor et tant d’autres comme son maître Schönberg, Ives, Cowell, Boulez, Stockhausen, etc. Dans la seconde catégorie, on trouve des articles sur Satie (1958), Varèse (1958) et sur la genèse de ses propres œuvres, telles Music of changes, Imaginary Landscapes n°4 et Music For Piano 21-52. La danse moderne est évoquée en quelques pages, dont la force se trouve, comme de tout temps, « dans des personnalités et des physiques isolés ».

L’autre grande partie du livre consiste en des propos qu’on résumera comme philosophiques, contenus dans la toute première Conférence sur rien (1949/59) à l’Artist’s Clublancé par Robert Motherwell (New York), 45’ pour un orateur (1954), Conférence sur quelque chose (1959), Où allons-nous ? Et que faisons-nous ? (1961), etc. Respectant une réédition londonienne de 1978, la mise en page de certains discours, comme celui en strates de polices différentes s’interpénétrant sur quatre colonnes, sert de résonateur à un amalgame de souvenirs, confidences, théories artistiques et humanistes (le hasard, la tradition, l’écologie, etc.). De ces hymnes polyphoniques à la liberté de création au moyen d’un esprit ouvert (et vice versa), qui complètent idéalement Une année dès lundi (Textuel, 2006) [lire notre critique de l’ouvrage], retenons cette phrase en particulier :

« notre intention est d’affirmer cette vie, et non de produire de l’ordre à partir du chaos, ni de suggérer des améliorations dans la création, mais simplement de s’éveiller à la vraie vie que nous vivons, et qui est si excellente une fois qu’on l’a débarrassée de nos pensées et de nos désirs et qu’on la laisse agir de son plein gré ».

LB