Chroniques

par laurent bergnach

John Cage
Electronic Music for Piano

1 CD Stradivarius (2012)
STR 33927
John Cage | Electronic Music for Piano

« Dans le foyer après le concert de La Monte Young – trouve-t-on écrit dans Journal : comment rendre le monde meilleur (on ne fait qu’aggraver les choses) –, Geldzahler a dit : on se serait cru dans le sein maternel ; maintenant que j’en suis sorti, je voudrais y retourner. J’avais une impression différente, Jasper Johns aussi : nous étions soulagés d’être libérés. » Cet aveu de John Cage (1912-1992) prend tout son sens quand on sait que sa mère fréquentait un grand nombre de clubs et que son père était inventeur, offrant deux choix de vie au musicien en devenir : un quotidien conformiste et confortable ou un univers de recherches et de découvertes. Le chantre de l’indétermination s’est placé dans les pas des pionniers défricheurs – avec pour credo, cependant, de « n’aller nulle part »…

À l’origine d’Electronic Music for Piano (1964) se trouve Music for piano 4-84, un ensemble de partitions écrites entre 1953 et 1956 qui servirent en partie au chorégraphe Merce Cunningham (Solo Suite in Space and Time, Suite for Five). De même que tempo et dynamique sont laissés au soin de l’interprète, les différentes pièces proposées (4-19, 21-36, 37-52, 53-68, 69-84) peuvent être jouées seules ou combinées aux autres.

L’œuvre est créée à Stockholm le 10 septembre 1964, par David Tudor (1926-1996). Connu pour avoir joué – et souvent créé – des pièces comme 4’33’’ (Cage), Klavierstück VI (Stockhausen) ou encore Sonate n°2 (Boulez), le soliste entre dans une décennie où il commence à composer, s’intéressant par-dessus tout à la musique électronique spontanée (live electronic music). Pour la création suédoise, il gère lui-même cette dimension de l’ouvrage, soit la place plus ou moins lointaine des microphones, amplificateurs et haut-parleurs qui entourent l’instrument. La partition, une simple page à l’entête de l’Hôtel Malmen, lui offre d’ailleurs toute les libertés – comme aux autres interprètes depuis lors.

Pour le pianiste Ciro Longobardi et le compositeur Agostino Di Scipio (ordinateur), une interprétation tout à la fois « honnête », personnelle, conceptuelle et musicale induit l’idée d’un piano qui n’est plus une source unique de sonorités mais plutôt un lieu de transition. Leur vison de l’œuvre, en six séquences et une coda, est enregistrée à Naples le 21 décembre 2011, en tenant compte non pas de la constellation astronomique qu’on trouve reproduite dans la partition mais plutôt des mots feedback (retour), changing sounds, transformations et imperfections of silence. L’effet larsen qui apparait dès le milieu d’une première partie toute en douceur, plus ou moins récurrent par la suite, pourra d’ailleurs inquiéter, puis décourager les oreilles sensibles de poursuivre l’écoute.

LB