Chroniques

par samuel moreau

John Gay
The beggar’s opera | L’opéra des gueux

1 DVD Arthaus Musik (2005)
102 001
John Gay | The beggar’s opera

Des voyous qui vendraient père et mère pour quelques billets, un avocat qui pratique le recel sans aucun scrupule, sa fille qui épouse en secret un charmant brigand amateur de maisons closes, etc. : les familiers de L'Opéra de quat' sous (1928) ne seront pas dépaysés par ce milieu de la pègre, décrit exactement deux siècles plus tôt dans les trois actes de L'Opéra des gueux – créé le 29 janvier 1728. À l'époque, Londres vit une période de corruption politique et de décadence morale qui s'étend à toutes les couches de la société. La boutique de Peachum, par exemple, n'est pas une invention de dramaturge : dans la capitale, on trouvait de tels établissements qui proposaient des objets volés avec l'accord tacite de la police. Le livret de John Gay (1658-1732), écrit en langue anglaise, permet de dénoncer cette immoralité délétère auprès du plus grand nombre.

Avec son héros sans grandeur d'âme, infidèle aux serments d'amour, l'œuvre est aussi une parodie des canons de l'opéra italien, lequel continue de régner sur le Royaume-Uni – avec une citation détournée de son Rinaldo (1711), Händel est particulièrement visé. Sans récitatifs, sans arie, L'Opéra des gueux utilise des chants connus et très courts (airs à la mode, folklore ou hits de la scène lyrique) qui s'intercalent aux dialogues parlés, inaugurant l'opéra-ballade, un nouveau genre de théâtre musical à destination d'un public peu cultivé. La musique est arrangée, adaptée et en partie composée par Johann Christoph Pepusch (1667-1752). Le succès triomphal (plus de soixante représentations) finit par mettre à mal l'opera seria, au point que la Royal Academy, son principal lieu de représentation, est obligée de fermer ses portes.

Jim Morrisson chantant Alabama Song, Sting reprenant Dowland, on s'étonne à peine de la présence de Roger Daltrey dans cette production de la BBC signée Jonathan Miller – qui en réalisa lui-même le film en 1983. Dans une œuvre qui n'exige pas spécialement une expérience du chant lyrique, le leader du groupe rock The Who est crédible et attachant. On retiendra également l'aisance et la jolie voix de Patricia Routledge (Mrs Peachum), la justesse de Rosemary Ashe (Lucy Lockit), la Jenny nuancée d'Isla Blair. Si l'on excepte une Polly Peachum fade et fort mièvre – Carol Hall – ainsi que la grâce finale refusée à notre bandit, ces mendiants-là, animés par John Eliot Gardiner et The English Baroque Soloists, peuvent nous faire passer un bon moment.

SM