Chroniques

par laurent bergnach

Jonathan Dove
The adventures of Pinocchio | Les aventures de Pinocchio

2 DVD Opus Arte (2009)
OA 1005 D
Jonathan Dove | The adventures of Pinocchio

En traduisant les indémodables Petit Poucet ou Peau d'Ane, l'Italien Carlo Lorenzi, alias Carlo Collodi (1826-1890), soupçonnait-il que le nom de Pinocchio passerait lui aussi à la postérité ? Son pantin de bois – dont l'histoire en trente-six épisodes paraît entre 1881 et 1883, avant d'être publiée dans un livre illustré par Enrico Mazzanti – est un des personnages de fiction les plus connus au monde, largement popularisé par l'adaptation cinématographique plus ou moins fidèle (Comencini et Spielberg/Kubrick, pour les plus récentes). Comme l'écrit Italo Calvino : « Il nous est naturel de penser que Pinocchio a toujours existé, on ne s'imagine pas en effet un monde sans Pinocchio. » Pourtant, à l'instar d'Oblomov quelques années plus tôt, cette figure intemporelle de l'immaturité est un produit de son époque.

Journaliste polémiste, écrivain pédagogue, Collodi s'engage dans la lutte pour l'indépendance de son pays et prône les vertus morales d'une Italie rurale laïcisée avec des valeurs comme la famille, l'école, le travail et l'amour du métier. Son message est clair : pour acquérir un comportement sociable acceptable, tout être humain – par nature soumis à ses instincts – doit suivre quelques règles communes ; et malheur s'il désobéit ! Car « il est écrit dans les décrets de la sagesse que tous les enfants paresseux qui, prenant en grippe les livres, l'école et les maîtres, passent leurs journées à jouer et s'amuser, finissent tôt ou tard par se transformer en petits ânes. »

L'opéra du Britannique Jonathan Dove (né en 1959) est créé au Leeds Grand Theatre, le 21 décembre 2007. Du roman d'éducation original pétrit de fabuleux et de picaresque, le compositeur et son librettiste Alasdair Middleton n'ont retenu que l'essentiel, bien loin de la vision donnée par Disney en 1940. Comme le rappellent la plupart des protagonistes de cette production (voir les entretiens bonus), l'histoire de Pinocchio est sombre, qui met en relief son égoïsme et sa schizophrénie. La mise en scène de Martin Duncan oppose ainsi les moments de fantaisie à d'autres plein de cruauté – brûlures du pantin, Cricket écrasé, mort du pauvre Lampwick.

Évoluant parmi des décors qui changent de façon très fluide, une foule de chanteurs servent la musique riche en influences de Dove (Britten, Bernstein, minimalistes, etc.) : Victoria Simmonds (Pinocchio brillant et agile), Jonathan Summers (Gepetto sonore), Mary Plazas (Blue Fairy colorée et onctueuse), Graeme Broadbent (vaillant Puppeteer) et Allan Clayton (clair et souple Lampwick), pour n'en citer qu'une infime partie. « Pinocchio, c'est un nom qui porte chance » nous dit le livret ; c'est aussi un nom synonyme de grand plaisir, pour tous ceux qui auront l'occasion de découvrir ces images prises à Londres, au printemps 2008.

LB