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Chroniques
Jonathan Harvey
pièces avec chœur
Au printemps 1995, Jonathan Harvey (1939-2012) est invité comme conférencier à l’Université de Californie (Berkeley). L’auteur de Wagner Dream [lire notre entretien de mai 2007] choisit de parler de la relation de la musique avec la foi, et évoque d’emblée sa propre expérience à un public non spécialiste : débuts comme choriste au St Michael College (Tenbury), épiphanie d’un motet de Lassus, fascination pour le manuscrit du Messiah (Händel), athéisme d’adolescent, découverte d’un livre essentiel signé Evelyn Underhill (Mysticism, 1911), intérêt grandissant pour la mystique orientale, composition de l’opéra Passion and Ressurection (1981), dans lequel Jésus « cicatrise la fissure entre l’individualité de la post-Renaissance et la communauté spirituelle », etc. Harvey ajoute encore :
« On pourrait dire que la catégorie du spirituel est subjective, mais également qu’elle est extrêmement large. Benjamin Britten n’est manifestement pas un homme croyant, et pourtant il a déclaré un jour qu’il pensait que toute sa musique rendait gloire à Dieu. Ceux qui ont une conviction religieuse ferme n’ont aucune difficulté à inclure leur activité de compositeur dans la même sphère que leur vie spirituelle, leur vie de pratiquant ; leur continuité est claire : Soli Deo Gloria,comme a écrit humblement Haydn à la fin de plusieurs de ses partitions » (in Pensées sur la musique, L’Harmattan, 2007) [lire notre critique de l’ouvrage].
D’un homme qui ne pouvait « concevoir de passer [s]a vie dans une quête insouciante et immorale », voici plusieurs pièces qui témoignent d’une sensibilité connue pour l’écriture chorale [lire notre chronique du CD] et pour l’acoustique des cathédrales. Réalisée à la chapelle du St John’s College (Cambridge) en juillet 2015, cette gravure bénéficie d’une prise de son tonifiante qui conduit au plus près des choristes locaux dirigés par Andrew Nethsingha, à leur tête depuis 2007. Parfois a cappella, les garçons chantent accompagnés par un organiste du même âge que les plus âgés d’entre eux, Edward Picton-Turbervill. Ce dernier livre deux courts entractes : Laus Deo (1969), solo animé qu’inspire le songe d’un ange Cinquecento au clavier, et Toccata (1980), pièce avec bande, aussi agitée qu’intrigante.
Écrit à la mémoire de sa mère, I love the Lord (1977) est la plus ancienne des pièces chantées ici, discrètement chaleureuse, entre éther et argile. Un an plus tard, Magnificat (1978) célèbre une Marie métaphysique, avec la jubilation rendue par les suraigus des trebles s’élevant d’un chœur virtuose. Ces huit minutes fondées sur un cantus firmus en boucle s’opposent à Nunc Dimitis (1978) avec lequel elles forment un dyptique. Là, un soliste se détache pour rendre l’image extrêmement humaine d’un vieil homme près de sa fin. Avec ses cinq sections, essentiellement un thème et variations, Come, Holy Ghost (1984) retrouve des racines grégoriennes pour fêter la Pentecôte avec douceur.
Déjà utilisé pour Lauds (chœur mixte et violoncelle, 1987), le Psaume 148 permet à Praise ye the Lord (1990) de célébrer les merveilles de la Création dans une joie lumineuse rappelant Britten. Alla Messiaen cette fois, une autre joie secoue Gloria, deuxième section composant une Missa Brevis (1995) conçue pour le tricentenaire Purcell. Les trois autres parties sont plus tranquilles, voire dépouillée (Kyrie). The Royal Banners forward go (2004) offre une évolution subtile, entre mystère et suspens. Enfin, on aime The Annunciation (2011), inspiré par le Stabat Mater de Palestrina. Cette tendre solennité d’une rencontre entre l’Ange et la Vierge, on la doit à un artiste déjà malade qui, par son expérience de la souffrance, créé peut-être un monde idéal à travers la musique.
LB