Chroniques

par michel slama

Joseph Haydn
Lo speziale | L’apothicaire

1 DVD Silverline Classics (2004)
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Joseph Haydn | Lo speziale

Troisième des vingt opéras de Franz Joseph Haydn, Lo Speziale (L'Apothicaire) fut composé sur un livret du grand dramaturge italien Carlo Goldoni. Ce dramma giocosa sympathique qui annonce les opéras de la trilogie Mozart/Da Ponte est l'un des fleurons de la production lyrique du compositeur austro-hongrois. Régulièrement joué depuis sa création à Eszterháza en 1768, il a finit par disparaître des grandes scènes internationales, comme l'ensemble des opéras de Haydn, à l'exception peut-être d'Il mondo della luna et de son Orfeo ed Euridice, bien moins fréquenté que celui de Christoph Willibald Gluck. Il est dommage que cette injustice perdure et que nos directeurs d'opéras et de maisons de disques soient assez frileux pour ne monter la production lyrique du compositeur. Seuls Hungaroton et Philips, avec son incroyable intégrale conduite par Antal Dorati, il y a près de trente ans, font exception à la règle. Peut-être est-ce l'excellence des opéras de Mozart qui seront composés quelques années plus tard, qui a contribué à faire tomber la production haydnienne dans un certain oubli.

Cet opéra sans chœurs pour deux sopranos et deux ténors fut conçu pour l'inauguration du petit théâtre de quatre cent places édifié par le Prince Nicolas le magnifique à Eszterháza. Il sera repris par Haydn en 1772 pour Vienne. C'est une charmante comédie en trois actes qui met en scène, sans prétention, un vieux barbon, Sempronio, l'apothicaire qui veut épouser sa pupille Grilletta, plus pour son argent que par amour… N'est-ce pas sans vous rappeler un certain Barbiere di Siviglia ? À la différence de ce dernier présentant un trio d'amoureux, c'est cette fois d'un quatuor qu'il s'agit, avec les deux autres rôles. Mengone, l'amoureux sincère et pauvre, se fait recruter comme assistant de l'apothicaire Sempronio, alors qu'il ne connaît rien à la chimie, pour occuper le terrain à sa façon. L'intrigue se complique avec l'apparition d'un autre prétendant, cette fois riche et arrogant, Volpino, rôle travesti, à l'instar du Cherubino de Nozze di Figaro. Malgré son amour réel pour Mengone, Grilletta fait mine de ne pas l'aimer et feint d'accepter la proposition du vieil apothicaire. Apparaissent, successivement, les deux amoureux éconduits déguisés en notaire qui modifient à leur avantage le contrat de mariage. La musique et l'action nous font penser à une scène équivalente du Cosi fan' Tutte… Au dernier acte qui demeure incomplet (une partie significative ayant été perdue), Volpino se déguise en Sultan, bien décidé à enlever Grilletta. Devant le refus de Sempronio, le Sultan commence à détruire la boutique de l'apothicaire. Mengone obtiendra la main de la belle, en échange de son aide précieuse à empêcher le Turc de ruiner le commerce de Sempronio.

Haydn sait illustrer brillamment les nombreuses situations comiques du livret de Goldoni. Les airs sont superbes et, comme on l'a vu, laissent présager les grandes arias de son ami Mozart. L'inévitable turquerie est charmante, très rythmée, mais fait plus penser à une bourrée paysanne qu'à de la musique orientale. Le présent DVD est donc une aubaine pour tout curieux qui veut découvrir l'opéra de Haydn.

Capté en 1982, Silverline Classics nous rend aujourd'hui une archive de la Télévision Suisse Italienne. Il s'agit d'une retransmission en public au Palais des Congrès de Lugano d'une production de Filippo Crivelli. Dans un décor unique mais efficace, la mise en scène est traditionnelle et semble avoir été pensée autour de la seule vedette de la soirée, le grand Luigi Alva. Le ténor péruvien, né en 1927, est ici au crépuscule de sa carrière, mais sa prestation d'acteur et de chanteur demeure exceptionnelle. Celui qui fut l'inoubliable partenaire de Maria Callas et de Teresa Berganza, en Comte Almaviva du Barbier de Rossini, trouve ici un rôle à sa mesure.

À l'aise devant la caméra – on se souvient de la légendaire production du Barbier de Ponnelle, avec Prey, Berganza et Abbado –, ce spécialiste des rôles de ténors légers mozartiens et rossiniens est parfaitement à l'aise dans Haydn, même si les ans ont passé et que les vocalises sont moins faciles... Omniprésent, son abattage fait que la jeune équipe qui l'entoure le suit comme un professeur. À ses côtés, un William Matteuzzi débutant, parfait, s'illustrera plus tard dans le même répertoire qu'Alva. Son premier air d'entrée fait irrésistiblement penser à l'air d'entrée de Leporello.

Les deux dames sont, en revanche, plus que moyennes. Carmen Gonzalez (Volpino), bonne actrice et physiquement crédible, possède une voix franchement désagréable et n'a pas la tessiture requise. Très fade et manquant de la séduction indispensable au seul vrai rôle féminin, Antonella Manotti peine en Grilletta. Dommage ! D'autant que l'Orchestre de la Suisse Italienne est très vif et fort intelligemment dirigé par Marc Andreae. En résumé, la rareté absolue de cet Apothicaire rend indispensable l'acquisition de ce DVD pour les amateurs d'opéras de Haydn. Une ombre, seulement : le produit ne contient pas de sous-titres français…

MS