Chroniques

par laurent bergnach

Joseph Haydn
Quatuors à cordes Op.50 n°1 – Op.76 n°1 – Op.77 n°1

1 CD Mirare (2013)
MIR 231
Les Modigliani jouent trois quatuors à cordes de Joseph Haydn

« Père présumé du quatuor, rappelle Bernard Fournier dans son récent Panorama du quatuor à cordes (Fayard, 2014), Haydn n’a lui-même jamais cessé d’expérimenter et notamment d’essayer des formes nouvelles. Au fil du temps, il compose des œuvres de plus en plus complexes et raffinées qui, tout en continuant à s’adresser aux amateurs, se focalisent de plus en plus sur des problèmes compositionnels. De la sorte, l’œuvre destinée à être jouée pour le plaisir des exécutants devient un terrain d’expérience pour le compositeur ».

Écrits sur une période d’un demi-siècle par l’auteur des Jahreszeiten [lire notre critique du CD], soit de 1757 à 1803, ses soixante-huit quatuors à cordes ne manquent pas d’influencer les autres membres de la trinité viennoise, Mozart et Beethoven, mais aussi Schubert et jusqu’aux épigones de Schönberg. On peut donc imaginer qu’il ne fut pas facile pour les violonistes Philippe Bernhard et Loïc Rio, l’altiste Laurent Marfaing et le violoncelliste François Kieffer (jouant des instruments conçus entre 1660 et 1780) de choisir quel bouquet méritait à présent l’enregistrement, après celui des opus 54 n°1, 74 n°3 « Reiterquartett » et Op.76 n°4 « Sonnenaufgang » (MIR 065).

Clarté, logique et concision caractérisent le Quatuor en si bémol majeur Op.50 n°1 Hob.III:44 (1787), inaugurant un cycle de six surnommés « prussiens », du fait d’une dédicace à Frédéric II, postérieure à l’année de composition. Passée l’élégante gravité de l’Allegro, l’Adagio non lento arbore une mélancolie véhémente, inquiète et contrariée qui annonce Beethoven, mais surtout Schubert. En rupture avec ce ton, l’œuvre s’achève dans un Menuet paisible et un Vivace d’une fraîcheur espiègle.

Première étape d’un autre cycle de six, mais dédié quant à lui au Comte Josef Erdődy qui en garde l’exclusivité deux ans durant, le Quatuor en sol majeur Op.76 n°1 Hob.III:75 (1797) offre « une profusion d’effets nouveaux, de contrastes, de libertés et de surprises, avec l’aisance de celui qui n’a plus rien à prouver » (dixit Jean-Michel Molkhou, qui signe la notice). Ici, l’on part d’un climat de grâce (Allegro con spirito) et de recueillement parfois aux confins du son (Adagio) pour investir un univers Sturm und Drang. Ainsi, les quelques contrastes ébauchés du Menuetto sont le sujet même de l’Allegro ma non troppo, lumineux et inquiet.

Éreinté par l’écriture de l’oratorio évoqué plus haut, Haydn achève le Quatuor en sol majeur Op.77 n°1 Hob.III:81 (1799) d’un nouveau cycle, un autre dans la foulée, mais laisse le troisième inachevé (1802). Dédié à son mécène, le Prince Franz Josef Lobkowitz, cette troisième page au programme fait lien entre classicisme et romantisme. On y croise des émotions souvent complexes : joie sans ombrage (Allegro), solennité qui ne se prend pas au sérieux (Adagio), virevolte sans aucune superficialité (Menuetto) et nervosité non dénuée de tendresse (Presto).

Outre les qualités d’une formation qui fête cette année sa première décennie – interprétation pleine d’esprit sans être jamais cérébrale, naturel dans le raffinement, etc. –, connue pour l’excellence de ses programmes germaniques [lire notre critique du CD] et français [lire notre critique du CD], saluons aussi une prise de son effectuée dans le cadre boisé de La Grange au Lac (Évian), laquelle offre la proximité des cordes comme le rendu de l’espace acoustique, et donc une musicalité optimale. Bravo !

LB