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Chroniques
Joseph Jongen
Triptyque Op.103 – mélodies avec orchestre
Prix de Rome, organiste reconnu, repéré par l'éditeur parisien Jacques Durand, Joseph Jongen (1873 - 1953) savoure à trente ans à peine le succès dans son propre pays – la Belgique – comme à l'étranger. Nourri de classiques allemands (Wagner, Strauss), de l'école française (Franck, d'Indy ainsi que de leurs successeurs, Debussy et Ravel), il ne cesse d'évoluer sans imiter ses glorieux modèles. Avec Henri Duparc, il est l’un des plus remarquables continuateurs de Berlioz dans la mélodie avec orchestre. Aimant la voix et l'orchestre sans toutefois se passionner pour l'opéra – il n'acheva aucun projet –, Jongen compose une trentaine de mélodies dont il orchestre la plupart.
Les Deux mélodies Op.25 sont composées de Après un rêve (texte de Romain Bussine) et de Chanson roumaine (de l'écrivain et diplomate Hélène Vacaresco, dont les poésies de jeunesse inspirèrent Reynaldo Hahn). Les mensonges et la mort rôdent au détour d'une rime, mais cela reste convenu, distant, sans cette ambiance digne d'une chambre d'hôpital, à laquelle nous prépare la jaquette... La seconde mélodie réussit un alliage curieux entre le romantisme volontiers macabre de Duparc et la tendance élégiaque de Fauré.
Les Deux mélodies Op.45 présentent Les cadrans (Franz Hellens) et Que dans les cieux (Jules Delacre). Écrivain flamand d'expression française, Hellens est né en 1881 et mort en 1972. Son poème sur ces horloges qui règnent seules vivantes sur une ville fantôme est typique de son passage progressif du symbolisme fin de siècle à l'école fantastique belge. La guerre de 14-18 a laissé des traces : le compositeur et le poète reviennent sur l'exil qui fut le leur, d'un pays natal occupé. L'Épiphanie des exilés, Le Carnaval des tranchées, Les langues de feu composent le début des Cinq mélodies Op.57. Ces poèmes de guerre, en rupture avec le discours de propagande officielle, présentent les événements sans fard : les masques sont blancs, les yeux las, les cœurs sombres, les murs moisis. Les orchestrations de 1922 font passer le compositeur du salon aux portes de l'expressionnisme. « Il neige un carnaval de boues... » Le ton en reste très digne, sans pathos, ce qui les rend particulièrement bouleversants, avec une psalmodie proche de celles de Poulenc sur la quatrième strophe de l'Épiphanie, et des traits fort inspirés de Pelléas et Mélisande dans Le Carnaval des tranchées. Sur la grève (Henri de Régnier) et Release (Georges Jean-Aubry) complètent le cycle avec des textes emplis de lumière, dans un climat d'apaisement et de délivrance.
Écrit entre 1935 et 1938, le Triptyque pour orchestre Op.103 demeure une réussite qui a eu du mal à s'imposer, en raison de l'isolement de Jongen dans la vie musicale d'après-guerre. L'œuvre passe de la douceur à la tension du second tableau pour retrouver « le calme, mais sans lenteur ». Elle semble réconcilier Debussy et Ravel.
Le chef et compositeur Pierre Bartholomée dirige l'Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, offrant des nuances d'une belle subtilité à cette musique sensible. Ils accompagnent le soprano luxembourgeois Mariette Kemmer, donnant ces mélodies d'un timbre clair, joliment articulé, dans un style cependant un peu vieillot – qu'on pourra d'ailleurs trouver à propos, pourquoi pas ? De sa découverte de Jongen, elle confie : « Ce sont finalement ces élans émotionnels qui m'ont conquis dans cette musique qui, techniquement, n'est pas particulièrement difficile, mais requiert un engagement total de l'interprète ».
Voici donc un enregistrement sincère et loyal, dont on regrettera pourtant une prise de son un peu gonflée de la voix, qui en paraît comme trop proche, invitant à découvrir un compositeur qui avait toute l'estime de Maurice Ravel, par exemple. Signalons d'ailleurs un concert à Saint-Jacques sur Coudenberg (Bruxelles) le vendredi 24 octobre, qui fera entendre des œuvres pour orgue, pour chœur et orgue, ainsi que l'Humoresque Op.92 pour violoncelle et orgue, de Joseph Jongen.
HK