Chroniques

par anne bluet

Joseph Jongen
Comala – Clair de lune

1 CD Musique en Wallonie (2004)
MEW 0214
Joseph Jongen | Comala – Clair de lune

Épreuve attendue, redoutée, décriée, le Prix de Rome belge, tout comme son aîné français, couronnait le cursus académique de tout compositeur du XIXe siècle. Le jeune musicien qui souhaitait démontrer ses compétences devait écrire, en l'espace d'un mois, une ou plusieurs scènes d'un opéra qui, pour l'occasion, prenait la forme d'une cantate à sujet imposé. Le lauréat recevait alors une pension qui, quatre années durant, lui permettait de parfaire sa formation à travers l'Europe. Premier Prix de piano en 1890, premier Prix d'orgue en 1894, troisième Prix de Rome en 1895 pour son Premier Quatuor à cordes Op.3, c'est sans surprise que Joseph Jongen (1873-1953), âgé de vingt-cinq ans, remporta l'épreuve suprême à l'unanimité, en cette année 1897.

L'art lyrique domine le siècle, et c'est au Théâtre de La Monnaie que se concentrent les ouvrages symbolistes : Hérodiade de Massenet (1881), Gwendoline de Chabrier (1886), Le roi d'Ys de Lalo (1889), etc. L'argument littéraire choisit par Paul Gilson pour l'épreuve de 1897 reflète le goût de l'époque ; son texte s'inspire des Poèmes d'Ossian, pseudonyme de James Macpherson, un instituteur écossais qui, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, redécouvrit la littérature gaélique. À partir de fragments de manuscrits oubliés, mais surtout de contes, légendes et chansons recueillis dans les Highlands, Macpherson fit revivre les aventures mythiques de Finn et Ossin, deux chevaliers errants plus connus sous les noms de Fingal et Ossian, dans l'Irlande des IIe et IIIe siècles. Le romantisme succombera bientôt à cette« poésie des brumes et des tempêtes ».

Dans Comala, cantate Op.14, une civilisation finissante est en proie aux invasions barbares. Seules les deux premières des trois parties de la partition firent l'objet du concours et permirent nombre defigures imposées : scène de bataille, duo d'amour, chœur d'hommes et de femmes, etc. Si l'orchestration rappelle Strauss, l'utilisation de leitmotiv Wagner, le lyrisme général et le traitement des voix sont bien les fruits d'un esprit indépendant. L'œuvre fut créée au Palais des Académies de Bruxelles, le 31 octobre 1897. Quant à La Monnaie, ce n'est qu'en février 1912 que Jongen en occupera les planches, avec S'Arka, une légende mimo-symphonique.

Outre le beau souffle de la direction de Jean-Pierre Haeck à la tête de l'Orchestre Philharmonique de Liège, on appréciera particulièrement l'incarnation du ténor Marc Laho, offrant ici un Hidallan d'une grande clarté. Comala est chantée par Sophie Marin-Degor qui mène honorablement sa voix, tandis que le baryton Roger Joakim sert d'une égalité de timbre, d'une riche couleur et d'une diction remarquable le rôle de Fingal. Mais, dans cet enregistrement, c'est surtout le Chœur Symphonique de Namur qui, par sa vaillance et son efficacité, impressionne.

Deux courtes pièces complètent ce programme : Clair de lune Op.33, dans une première version pour piano de 1908, puis dans une version orchestrée en 1915, dans lesquelles on relève l'influence de l'impressionnisme français. À la parenté de Comala avec Chausson succède donc un vague debussysme que semble vouloir croiser les secrets de Dukas et Koechlin.

AB