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Chroniques
Jules Massenet
Thaïs
Trouve-t-on dans l'histoire de l'opéra une intrigue plus simple que celle de Thaïs ? De retour d’Alexandrie, le moine Athanaël raconte qu'une courtisane fait régner la débauche sur la ville et que « par elle l'enfer y gouverne les hommes ». Le vieux Palémon lui donne un sage conseil – « Mon fils, ne nous mêlons jamais aux gens du siècle » – mais durant la nuit, une vision qu'il a de Thaïs décide le moine de se charger de la conversion de la jeune femme comme d'une mission divine. Il parviendra à la faire renoncer aux plaisirs du monde pour la conduire au couvent d'Antinoé. Trois mois après, « son corps est détruit par la pénitence mais ses péchés sont effacés » ; elle meurt dans l'extase du martyre, tandis qu'Athanaël, fou de désir, lui déclare en vain un amour culminant.
Dans les dernières années du XIXe siècle, Jules Massenet est le compositeur d'opéras français le plus fréquemment joué : Le roi Lahore (1877), Hérodiade (1881), Manon (1884), Le Cid (1885), Esclarmonde (1889) ou Werther (1892) rencontrent le succès. L'opéra Thaïs est achevé en octobre 1893, adaptant le roman homonyme d'Anatole France – artiste lui-même inspiré par l'histoire d'une actrice et courtisane ayant vécu à Alexandrie au IVe siècle après J.C. Le destin de la jeune femme – canonisée par l'église catholique – donna naissance, dès le Moyen-âge, à bon nombre de récits et de légendes. L'imagination collective due être profondément marquée par cette héroïne puisque Massenet vit une momie ramenée d'Antinoé, exposée au Musée Guimet, qu'on disait être la sienne.
Collaborateur de Bizet et de Saint-Saëns, Louis Gallet se charge du livret. Il abandonne la versification conventionnelle, métrique et rimée, pour une prose rythmée qui répondait à la volonté de nouveauté du compositeur. Cette première expérience d'un livret en prose dans l'histoire de la musique française est tournée en ridicule, alors que sa valeur littéraire ne présente pas de faille. L'accueil s’avère très réservé ; on parle d'œuvre immorale – dans son journal de mécène, le 13 mars 1894, Marguerite de Saint-Marceaux écrit « La musique est banale et ennuyeuse, le poème assommant. C'est du Parsifal à la sauce blanche »... Et pourtant, Massenet parle dans ses Mémoires d'une œuvre qui, en France et à l'étranger, n'a pas quitté l'affiche depuis dix-sept ans !
Respectant l'intrigue, rendant crédible la conversion, la mise en scène de Pier Luigi Pizzi ne cherche pas la complexité : un escalier, un lit géant de roses et d'épines, des croix au début et à la fin, des chorégraphies soignées – séduisant solo de Letizia Giuliani sur la célèbre Méditation de l'Acte II – et des costumes d'époque. Thaïs (Eva Mei) possède l'espace et la douceur qu'il faut, incarnant au mieux « l'idole fragile ». C'est cependant Michele Pertusi (Athanaël) qui lui vole la vedette. Le baryton-basse possède une voix puissante et corsée, au vibrato ample, qui passe la fosse où qu'il se trouve. Les graves sont présents, le travail nuancé et la diction parfaite. William Joyner (Nicias) est vaillant.
À ces trois premiers rôles de qualité s'ajoutent Christine Buffle (Crobyle) et Elodie Méchain (Myrtale) dont le duo Celle qui vient est soigné et délicat. Le chœur des moines est en général assez doux, toujours équilibré. Marcello Viotti dirige avec brio l'Orchestre et le Chœur de la Fenice de Venise dans une œuvre qui étrangement (miraculeusement ?) frôle le risible sans y verser.
LB