Chroniques

par laurent bergnach

Jules Massenet
Werther

1 DVD TDK (2005)
DVWW-OPWER
production enregistrée au Staatsoper en février 2005

Avec cette production enregistrée au Staatsoper en février dernier, Werther retrouve un public viennois qui l'a soutenu depuis sa création au Hofoper, le 16 février 1892. Jules Massenet en avait achevé la partition piano-chant en 1887, mais le directeur de l'Opéra Comique, déçu de ne pas y retrouver les promesses de succès d'une Manon présentée trois ans plus tôt, refusa l'ouvrage. Alors que l'œuvre en germe était annoncée depuis 1880, il fallut attendre le succès de cette même Manon dans la capitale autrichienne (en 1890) pour qu'elle sortît du tiroir. L'accueil enthousiaste devait redonner confiance au compositeur qui privilégiait ici mélancolie et couleurs sombres.

Puisque le roman épistolaire de Goethe – Les Souffrances du jeune Werther (1774) ne présente que le point de vue de l'amoureux malheureux, les librettistes Edouard Blau, Paul Milliet et Georges Hartmann ont dû rééquilibrer l'action pour une version scénique ; ils ont notamment redonné du poids à l'indifférente Charlotte, maman de ses nombreux frères et sœurs, qui cette fois ne serait plus insensible à l'amour qu'on lui offre.

Malgré cela, elle reste prisonnière des conventions sociales – promesse d'épouser l'homme désigné par une mourante, résistance à l'adultère – et Andrei Serban a justement décalé l'histoire dans les années cinquante, qui regardent alors comme modèle la puritaine Amérique du Nord. Si certains partis pris se justifient difficilement – Albert assiste à l'adieu final –, son idée de l'arbre central est bienvenue à plusieurs égards et sa direction d'acteur des plus soignées.

Notre attachement aux personnages principaux est d'autant plus facile que des chanteurs solides les incarnent. D'une voix moelleuse au timbre rond, égale sur toute la tessiture, le mezzo letton Elina Garanca (Charlotte) pose ses aigus délicatement. Marcelo Álvarez (Werther fort nuancé) jouit d'une diction appréciable, et amène lui aussi ses aigus en douceur. Sans nasaliser, toujours souple et bien conduit, Adrian Eröd est le baryton idéal dans le rôle d'Albert. À la tête de l'Orchester der Wiener Staatsoper, le jeune Philippe Jordan surprend par sa maturité ; l'ensemble est très timbré, avec notamment des cordes claires et suaves qui rendent justice au travail de coloriste du Français.

LB