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Chroniques
Jules Massenet
Manon
Auteur dramatique et librettiste prolifique, collaborateur de Ludovic Halévy durant une vingtaine d'année, Henri Meilhac (1831-1897) ne parvient pas à séduire Jules Massenet (1842-1912) avec un texte intitulé Phoebé. En 1881, se rendant chez l'écrivain pour lui faire part de son manque d'inspiration, et balayant du regard sa bibliothèque, le compositeur voit le livre de l'abbé Prévost : il décide que ce sera le sujet de son prochain opéra. Légende ou réalité, cette anecdote rend compte, malgré tout, d'un coup de foudre initial expliquant la rapidité avec laquelle sont esquissés les deux premiers actes, avant l'automne 1882. L'orchestration est réalisée entre mars et août 1883. Massenet redoute alors que, selon ses habitudes, le directeur de l'Opéra Comique Léon Carvalho exige des remaniements de la partition mais celui-ci fait une promesse : « Mon ami, votre œuvre sera montée comme si vous étiez déjà mort » !
Le 19 janvier 1884, après Auber (1856) et avant Puccini (1891), c'est avec succès que Massenet présente au public parisien sa vision de Manon Lescaut, laquelle oscille entre néoclassicisme et postromantisme, mais reste dans le style de l'opéra lyrique français – à l'instar de Gounod avec Faust ou encore de Thomas pour Mignon. Sa mélodie recherche le charme et la sensualité, mais sans oublier la décadence intrinsèque au XVIIIe siècle décrit. Usant d'un décor minimaliste mis en valeur par une lumière raffinée, la mise en scène de Gilbert Deflo a su s'inspirer de Watteau et de Fragonard pour sublimer l'ouvrage.
En juin 1997, plus d'un siècle après Marie Heilbronn qui l'incarna la première, Renée Fleming devient à son tour la jeune héroïne qui va échapper au couvent pour mourir sur une route près du Havre. « Je pense que Manon est mon rôle préféré, confie le soprano. J'adore la musique française ; son style est tellement délicat. Elle a des moments dramatiques et lyriques. » Malheureusement, agile sans être habile, le chant se révèle assez affecté, sans égalité et même plutôt vulgaire lorsqu'il se nourrit de jazz. De plus, une grande prestance et un physique avantageux ne pallie pas le manque d'intention de la comédienne qui minaude sans finesse et affiche une fraîcheur artificielle.
Le reste de la distribution séduit sans autant de réserves : Marcelo Álvarez (Des Grieux) par sa précision, son onctuosité et ses aigus à l'attaque délicate ; Jean-Luc Chaignaud (Lescaut) avec ses pianissimi délicats qui compensent quelques notes forcées du début ; Michel Sénéchal (De Mortfontaine) dont le timbre reste clair malgré les ans ; Christophe Fel (l'hôtelier) par son élégance et sa diction exemplaire ; etc. Dans la fosse de l'Opéra National de Paris, on regrettera que Jesús López Cobos n'ait pas accordé plus d'attention aux chromatismes de certains passages.
SM