Chroniques

par laurent bergnach

Jules Massenet
Don Quichotte

1 DVD Naïve (2012)
DR 2147
Jules Massenet | Don Quichotte

Paru en deux parties, en 1605 et 1615, El Ingenioso Hidalgo Don Quijote de la Mancha (L’ingénieux gentilhomme Don Quichotte de la Manche) s’impose comme le premier roman qui rompt avec l’époque médiévale, dans le fond (parodie des récits de chevalerie) comme dans la forme (intervention de l’auteur à l’intérieur de son texte, etc.). Devenu un archétype, son personnage principal se révèle un justicier autoproclamé vivant son idéal de chevalerie dans une Espagne rigide, accompagné par un paysan dépassé par les visions d’un maître moqué de tous. L’ouvrage – « le plus beau cadeau que nous a fait la Renaissance », selon le créateur du Ring – trouve sa place dans le patrimoine littéraire mondial grâce à une multitude de lectures possibles, allant du pur comique à l’analyse politique, en passant par la critique sociale.

Davantage interprété que Wagner, Verdi ou même Mozart depuis la première de Manon (1884), Jules Massenet (1842-1912) domine la scène lyrique francophone lorsqu’il entreprend la mise en musique du roman de Miguel de Cervantes, ou plus exactement du livret qu’Henri Cain tire du Chevalier à la Longue Figure (1904), une pièce de théâtre signée Jacques Le Lorrain. Tout en veillant à l’équilibre entre légèreté et émotion, l’argument nous éloigne de l’original ne serait-ce que par le personnage de Dulcinée qui n’est plus une simple fille de ferme mais une coquette à qui des brigands ont dérobé un collier, que le rôle-titre va s’efforcer de retrouver. Créée à Monte-Carlo le 19 février 1910, sa comédie-héroïque en cinq actes rencontre rapidement le public de Bruxelles, Marseille, Paris, Londres, New-York, etc.

« Dans le livret de Don Quichotte, annonce Laurent Pelly, on ne peut pas faire abstraction du XIXe siècle et d’une sentimentalité propre à cette époque. Certains néologismes et expressions nous rendent cette saveur particulière […] tout comme le kitsch de certains passages. Monter cette œuvre signifie assumer cette sentimentalité, sans avoir recours à l’ironie ». Pour cette coproduction de La Monnaie et du Teatro Massimo (Palerme), cent ans après la création, le Français bénéficie de décors orgiaques – dont un impressionnant paysage de papiers entassés (14m x 6m) – mais sa mise en scène du héros embourgeoisé par des filtres successifs offre une lecture superficielle, voire mièvre, parsemée de clins d’œil dormitifs.

Faisant ses adieux à la scène belge après un demi-siècle de carrière, José van Dam incarne le rôle-titre avec force parlando et ornements périlleux, mais la respiration reste magnifique. Silvia Tro Santafé (Dulcinée) – entendue jadis dans Serse [lire notre critique du CD] et l’an passé dans Donizetti [lire notre critique du 25 juin 2011] – fait preuve d’agilité et soigne sa diction en cultivant un certain côté canaille. Ferme, le chant de Werner van Mechelen (Sancho) gagne en nuance, au fil de l’intrigue. Julie Mossay (Pedro), Camille Merckx (Garcias), Gijs van der Linden (Juan) et Vincent Delhoume (Rodriguez) forment un quatuor efficace. On pourra suivre l’audition de ses jeunes artistes dans un bonus d’une heure qui, entre emphases et platitudes, fait visiter comme jamais les coulisses d’un spectacle (répétition du chœur, mise en place des lumières, etc.).

« Il apparaît tout de suite que la musique ne fut jamais pour M. Massenet la voix universellequ’entendirent Bach et Beethoven : il en fit plutôt une charmante spécialité. » Sans avoir la dent aussi dure que Debussy en 1901, avouons n’avoir pas été sensible à cette espagnolade moins débridée que celle de Bizet, mais bien plutôt au travail de Marc Minkowski à la tête de l’orchestre maison. Son travail soigné apporte un relief énergique à la partition dont il fait scintiller les rares pépites – parmi lesquelles ce solo de violoncelle en début d’acte, interprété avec brio. Enfin, notons l’effort du label à se démarquer par un format à l’italienne qui autorise la présence d’une notice bilingue aux photos nombreuses et soignées.

LB