Chroniques

par murat iorov

Jules Massenet
Sapho

2 SACD Fonè (2002)
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Jules Massenet | Sapho

Provençal amoureux de la belle Sapho – nom de guerre de l'ancienne courtisane Fanny Legrand –, Jean Gaussin souffre au souvenir de ce que put être la vie dissolue de son aimée. Celle-ci, rendue sage et repentie par la rencontre inespérée d'un vrai sentiment amoureux, tente l'impossible pour gagner la confiance du jeune homme. Voilà le sujet de cet opéra de Jules Massenet, d'après l'une des plus célèbres nouvelles d'Alphonse Daudet, créé en 1897 dans un léger parfum de scandale. Inutile de chercher ici trop de ces passages caractéristiques de l'écriture de Massenet : du lyrisme, il y en a, mais beaucoup moins de guimauve que dans les autres ouvrages. Pour Sapho, le compositeur a préféré adopter un style direct dont le violent vérisme pourra surprendre. Si l'intrigue peut rappeler les grandes héroïnes fatales comme Carmen, Manon ou autre Violetta Valery, l'œuvre reste peu jouée, car sans doute jugée atypique de son auteur. Mais il semble que les choses évoluent, puisque la Biennale Massenet de Saint-Étienne a rendu hommage à cet autre aspect de l'art du maître en réalisant une production confiée à Jean-Louis Pichon sur la grande scène de l'Opéra Massenet, il y a quelques semaines.

L'enregistrement paru chez Fonè est un live du Wexford Festival Opera pris en octobre et novembre 2001. Jean-Luc Tingaud dirige une exécution riche d'une grande énergie, bien que peu nuancée. L'œuvre est cependant honorée par une distribution à la hauteur des moyens qu'elle réclame : Giuseppina Piunti possède une voix large, parfois mal canalisée, comme dans Là-bas, un tout petit être... (Acte V) ; elle est facilement à l'aise lorsqu'il s'agit de passer la fosse et de remplir la salle, comme dans Ce que j'appelle beau... (Acte II), mais accuse une lourdeur qui lui interdit des pianissimos bien posés. Le ténor américain Brandon Jovanovich charme d'un timbre chaudement coloré, et décline un chant nettement plus fin. À eux deux, ils offrent des duos somptueux et d'une grande vocalité, mais sont desservis par une prise de son précaire qui ferait facilement songer à quelque bobine rescapée d'une inondation ! On retiendra parmi les autres personnages les brèves prestations d'Agata Bienkowska et deNicolas Courjal, dont le timbre joliment corsé est plaisant au possible.

MI