Chroniques

par laurent bergnach

Jules Massenet
Cendrillon

1 DVD Naxos (2018)
2.110563
Fabrice Bollon joue Cendrillon (1899), un ouvrage de Jules Massenet

De même que surgit des greniers Cendrillon de Pauline Viardot, un opéra chambriste donné dans son propre salon le 23 avril 1904, on redécouvre l’ouvrage éponyme et antérieur de Jules Massenet (1842-1912). Lui aussi connut le purgatoire, peut-être car il n’est ni assez sulfureux pour séduire les parents ni assez niais pour plaire aux enfants. Outre-Rhin, une production filmée au théâtre de Fribourg, les 30 avril et 4 mai 2017, participe à une renaissance européenne maintenant bien amorcée, où Fabrice Bollon guide le Philharmonisches Orchester Freiburg avec une verve gracieuse, qui témoigne d’une riche palette émotionnelle émotionnelle (nostalgie, pompe, ironie, etc.).

La genèse de ces quatre actes et six tableaux, sous-titrés « contes de fées », remontent à la création de La Navarraise (Londres, 1894) [lire notre chronique du 4 novembre 2011], un « épisode lyrique » inspiré par une nouvelle de Jules Claretie. À ce dernier, Henri Cain a offert de collaborer au livret, mais se tourne vers Paul Collin pour adapter la célèbre histoire de Perrault (1697), mêlant à celle de la semi-orpheline des figures dignes de Molière. Massenet achève son orchestration l’année suivante (fin 1895), replongeant avec délice dans un style néo-classique déjà requis pour faire chanter l’héroïne de l’Abbé Prévost (1884) [lire nos chroniques des 12 septembre 2016, 29 septembre 2015, 18 janvier 2012, 6 novembre 2009 et 13 avril 2004] – Cendrillon, « c’est Manonfanfreluchée », peut-on lire sur le site de L’Art lyrique français [voir lien]. Mais de nombreux reports fixèrent la création au 24 mai 1899, à l’Opéra Comique, un an et demi après celle de Sapho (1897) [lire notre chronique du CD]. Une soixantaine de représentations sont proposées, puis l’ouvrage migre ici et là (Genève, Milan, Alger, etc.), preuve d’un succès rapide… mais fort court.

Complices avec le chorégraphe Graham Smith, c’est dans l’univers du cirque que Barbara Mundel et Olga Motta installent les personnages du conte, créant un dépaysement qui n’attend pas l’arrivée de la Fée pour exister – alors, le merveilleux sera à son comble. Un numéro de lancer de couteau indique l’attachement de Lucette à son père, avant que ce dernier ne s’éloigne sous l’influence désastreuse de sa nouvelle épouse, comtesse revêche attachée à dresser la chair de sa chair (« Ne soyez pas banales ! Ni trop originales ! »). Des ersatz de clowns servent d’entourage au Prince tandis qu’un magicien semble œuvrer à la disparition de toute une foule pour isoler les tourtereaux. Bref, on aime ce spectacle aux effets bien dosés, loin des clichés attendus, idéal pour la période des fêtes.

Trois chanteuses charment d’emblée l’oreille : les soprani Kim-Lillian Strebel (Lucette), au chant agile et frais, et Katharina Melnikova (La Fée) dont la sureté et la facilité sont magnifiques autant que mémorables, ainsi que le mezzo-soprano Anat Czarny (Le Prince) qui allie souplesse, impact et précision. À l’exception de Juan Orozco (Pandolfe), souvent instable, les géniteurs réjouissent également : Anja Jung (Madame de la Haltière), aux graves amples et solides, Jongsoo Yang (Le Roi), à l’expressivité ronde et puissante. On apprécie enfin Irina Jae Eun Park et Silvia Regazzo dans les rôles des sœurs Noémie et Dorothée, de même que Naoshi Sekiguchi, Roberto Gionfriddo et Pascal Hufschmid en dignitaires de la cour.

LB