Chroniques

par laurent bergnach

Kaija Saariaho
œuvres avec orchestre

1 CD Ondine (2015)
ODE 1255-2
À la tête de l’OPS, Marko Letonja joue Kaija Saariaho

« Kaija Saariaho fait partie de ces compositeurs qui ne se cachent pas derrière l’abstraction musicale, écrit Kimmo Korhonen, mais nourrissent leurs œuvres de stimuli tirés du monde extérieur, qu’il s’agisse de phénomènes naturels ou d’autres expressions artistiques ». Grâce à leur caractère pictural autant que poétique, les œuvres de la Finlandaise (née en 1952) sont très appréciées du public et des salles qui n’hésitent pas à passer commande, de par le monde.

Conduit par Marko Letonja depuis 2012 [lire notre entretien], l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg consacre aujourd’hui un enregistrement à trois œuvres de la musicienne, dont la plus ancienne s’intitule Quatre instants (2003). Né d’un désir de Karita Mattila, le cycle repose sur des textes contrastés et expressifs, signés Amin Maalouf – collaborateur fétiche depuis L’amour de loin (2000) [lire notre critique du DVD]. « L’apparente simplicité des textes d’Amin laisse de la place à la musique, explique Saariaho. Les mots et les phrases courtes sont des codes qui cachent un monde riche en sensations, couleurs et parfums. » Conçue au départ avec piano (2002) [lire notre critique du CD], l’œuvre adaptée pour l’orchestre souhaite conserver sa clarté originelle et le même désir d’être un partenaire à part entière. Après sa consœur, c’est au tour du soprano Karen Vourc’h de faire entendre ce cycle passionné dont la dernière partie (Résonances) puise ses éléments dans les trois premières [lire notre chronique du 13 avril 2011].

Créé par l’Orchestre d’Auvergne, Terra memoria (2009) est d’abord un quatuor donné par les Emerson à New York (2007), avant d’être joué par un ensemble de cordes (6 violon, 5 violon II, 4 alto, 4 violoncelle, 1 contrebasse). Concernant cette pièce dédiée « à ceux qui nous ont quittés », Saariaho explique que la « terre » renvoie à son matériau même, et la « mémoire » à la manière dont ce dernier est traité. Ici, certains éléments subissent beaucoup de transformations successives, tandis que d’autres restent quasi inchangés et reconnaissables – à l’instar de nos souvenirs des morts. Agréablement tendue, cette lecture n’exclut pas la nuance.

Enfin, découvrons une troisième adaptation : Émilie suite (2011), fondée sur des extraits du monodrame en neuf scènes Émilie, créé à Lyon l’année précédente, une fois encore avec Mattila [lire notre chronique du 7 mars 2010]. Le temps d’une nuit, à Lunéville, on découvre les émotions et pensées de la marquise du Châtelet (1706-1749), mathématicienne et physicienne de génie (prémonition de l’infrarouge, des lois de conservation de l’énergie) qui redoute un accouchement fatal. Des neuf scènes initiales, Saariaho conserve trois parties vocales et deux intermèdes pour orchestre allégé, sans électronique. Là encore, on parle d’amour – que Karen Vourc’h défend mieux sous une forme épistolaire –, avec un clavecin omniprésent comme l’angoisse suppliciant l’héroïne.

LB