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Chroniques
Karel Husa
Trois œuvres pour orchestre
Avec ce CD nous approchons un nouvel exemple d’artiste qui s’est volontairement exilé d’un des pays sous domination soviétique, après avoir été annexé par l’Allemagne nazie. Citoyen étasunien depuis 1959, le compositeur Karel Husa naquit en 1921 à Bubeneč, petite commune tchèque qui serait rattachée à Prague cinq mois plus tard. Quelques leçons de violon lui furent données à partir de ses huit ans, sans qu’un réel talent pour l’instrument s’y manifestât. En tant que vétéran de l’armée et invalide de guerre, son père bénéficie d’un logement à proximité de la coopérative orthopédique de Bubeneč où il travaille.
L’enfant est orienté par ses parents vers la carrière d’ingénieur : il entre donc au lycée technique d’Holešovice, dans l’arrondissement limitrophe, puis à la prestigieuse École Supérieure Technique de Prague (České Vysoké Učení Technické v Praze). Le projet ne fera pas long feu : envahi dès mars 1939, le pays, littéralement abandonné à son triste sort par la France et le Royaume Unis, est, du jour au lendemain, décrété Reichsprotektorat Böhmen und Mähren et dirigé par Konstantin von Neurath qui, en novembre, ferme les universités. De toute façon, le jeune Karel montrait plus d’intérêt pour les arts, et principalement la musique, que pour toute autre chose.
Refusé dans les classes instrumentales, il lui faut attendre 1941, soit l’aube de ses vingt ans, pour être admis au conservatoire pragois dans la classe d’écriture et de composition de Jaroslav Řídký. Il étudiera bientôt la direction d’orchestre auprès de Pavel Dědeček. Passé son diplôme, Husa part pour la France et rentre au conservatoire de Paris où, jusqu’en 1951, il perfectionne sa maîtrise auprès d’Honegger ; il complète sa formation par des cours privés avec Nadia Boulanger pour la composition et avec Eugène Bigot quant à la direction. Alors qu’Honegger travaille à sa Symphonie Liturgique, le jeune homme s’attelle à Trois Fresques Op.7 où s’entend l’influence du néoclassicisme de ses maîtres. La gravure du Symfonický Orchestr Prahy (Orchestre Symphonique de Prague), placé sous la direction de son nouveau chef titulaire Tomáš Brauner, fait découvrir cette page de 1947 dont il avait donné la première tchèque le 29 avril 1949, sous la direction de Václav Smetáček. À un Praeludium extrêmement énergique, y compris dans ses figures obstinées, succède une Aria mystérieuse qui semble puiser dans un imaginaire musical plus personnel. Le dernier volet du triptyque est une Fuga qui, par-delà la relative fragmentation de son introït, ne déroge pas à la tonicité générale de cet opus.
Alors qu’il vit encore à Paris, Karel Husa se voit proposer un poste à la Cornell University à Ithaca, dans l’État de New-York – embarqué pour trois ans dans l’aventure professorale, il y fera toute sa carrière, jusqu’en 1992 lorsqu’il prendra sa retraite. En 1959, le voilà citoyen étasunien. Après avoir écrit, entre autres, un Poème pour alto et orchestre, un Concertino pour saxophone et ensemble, une Sérénade pour quintette à vent ou encore Mosaïques pour orchestre, il s’apprêtait à honorer la commande d’un Concerto pour orchestre lorsqu’après sept mois la politique du Pražské jaro que mène Alexander Dubček est réprimée par l’entrée des chars russes dans la cité. En réaction à cette violation de sa ville natale, il compose alors Music for Prague 1968 pour un ensemble de cuivres. Dans un commentaire qu’il a lui-même conçu pour accompagner les exécutions de la version orchestrée – entièrement cité par Pavel Petráněk et Martin Rudovský dans leur notice du disque (en anglais, allemand et tchèque) –, on apprend que celle-ci marie trois idées : un ancien chant hussite du XVe siècle (plusieurs fois utilisé par les compositeurs tchèques) qui appelle à la résistance la plus vaillante, l’omniprésence campanaire de la ville aux cents clochers, enfin trois accords qui forment une figure timide répartie dans les bois. Cet hommage compte quatre mouvements. Introduction and Fanfare annoncent le danger qui plane sur la liberté du pays, pourtant gagné par le courage de s’affirmer via l’hymne hussite. Le climat change considérablement avec Aria qui distribue une sorte de chute de cloches, pour ainsi dire, avant l’âpre engluement dans la tragédie. S’ensuit un Interlude complètement gelé dans un quasi-immobilisme semi-percussif, piano, inquiétant telle la suspension des chants d’oiseaux juste avant l’orage. Un roulement sec et déterminé l’enchaîne à Toccata and Chorale qui scelle à la fois l’événement et un message d’espoir. Cette version orchestrale date de 1969. Husa se rendit à Prague pour la diriger, mais le concert fut interdit par la nouvelle administration. C’est donc à Munich qu’il a mené la première européenne, le 31 janvier 1970. Quant aux mélomanes tchèques, ils ne purent découvrir Music for Prague 1968 qu’en février 1990.
Trente ans s’écoulèrent entre la composition de la Symphonie n°1 et la Symphonie n°2 « Réflexions ». En 1983, Karel Husa fait un usage plus soigneux encore de sa grande maîtrise des moyens orchestraux, comme en témoigne le début fort intrigant du Moderato initial, évoluant bientôt vers un drame non dit qui n’exclut pas le raffinement des timbres. Né dans un ostinato de percussions, Very fast se développe dans un bondissement rythmique néo-stravinskien, ponctué en son centre par une caresse harpistique. L’œuvre se termine dans ultime et vaste mouvement lent (Slow), peu à peu apaisé. L’excellent Symfonický Orchestr Prahy signe un fort beau portrait du compositeur.
BB