Chroniques

par anne bluet

Karl Amadeus Hartmann – Alexandre von Zemlinsky
Gesangsszene – Symphonie Lyrique Op.18

1 CD Orfeo (2000)
C 535 001 B
Hartmann – Zemlinsky | œuvres symphoniques

Dans la série des enregistrements pris sur le vif au Festival de Salzbourg, nous pouvons entendre une version particulièrement dramatique de la plus célèbre œuvre de Alexander von Zemlinsky, composée en 1922 sur des poèmes de Rabindranath Tagore, et créée deux ans plus tard par son auteur à Prague, où il est Directeur de l'Opéra Allemand. Histoire de chemins : inspirée de Das Lied von der Erde que Gustav Mahler écrivit en 1908 à partir de poèmes chinois traduits par Rückert, qui regroupe un mezzo-soprano et un baryton sur six mouvements formant une symphonie de lieder, la Symphonie Lyrique modifie à peine les données en préférant un soprano et sept chants pour une durée plus courte d'un quart de son ainée environ, et génèrera elle-même la Suite Lyrique d'Alban Berg lui rendant directement hommage, cette fois pour quatuor à cordes, en 1926. On pourrait résumer leur propos pas la triade orientalisme – amour – mort.

Lothar Zagrosek manipule une pâte sonore des plus capiteuses, sans orienter sa lecture vers une accentuation systématique des contrastes, comme le fit Claus-Peter Flor dans son enregistrement (avec Luba Oronasova, Bo Skovhus et le Sinfonieorchester des Norddeutschen Rundfunks). Il aurait plutôt tendance à soigner les intentions de chacun des poèmes choisis, quitte à parfois se priver du plaisir de faire entendre une fabuleuse et jouissive moire orchestrale au profit d'un plus juste dépouillement. Pas d'inquiétude, la subtilité des alliages sonores est bien là, mais sans distribuer sa carte de visite au tout venant.

Si Dietrich Fischer-Dieskau, qui a bien souvent chanté cette page, propose, comme à son habitude, une interprétation sensible d'une grande finesse, avec l'avantage du live pour un artiste qui avait peut-être tendance à se montrer un brin maniéré en studio, c'est indéniablement par la prestation de Julia Varady que ce disque atteint des sommets. Saisi lors d'un concert en août 1982, il offre une voix au plus haut de sa carrière, en pleine possession de ses moyens, qui fait sien chaque mot du texte. Il n'y a qu'à écouter Vollende denn das letzte Lied (Finis ta dernière chanson) pour s'en rendre compte. La chanteuse y est fabuleusement poignante.

La Gesangsszene (Scène Lyrique) de Karl Amadeus Hartmann, écrite à partir d'un texte extrait de Sodome et Gomorrhe de Jean Giraudoux, est demeurée inachevée. Elle est donnée sans fin, dans ce concert d'août 1984, c'est-à-dire que le baryton dit tout simplement le texte final, sans musique. On connaît ce compositeur comme auteur de symphonies, principalement, et personnalité importante de la création d'après-guerre. Il fut à l'initiative des concerts radiophonique Musica Viva à Munich, qui occasionnèrent de grands moments de musique contemporaine et permirent à de futurs noms de se produire avant qu'on les reconnût par ailleurs. On entend sur ce disque son penchant pour l'expressionnisme de l'École de Vienne, avec un soin minutieux accordé à ménager des effets de soli assez déroutant dans la linéarité d'un mouvement. Fischer-Dieskau semble plus engagé dans cette œuvre que dans la précédente. Il nous rappelle que si le disque garde trace d'un grand chanteur de lieder avant tout, il fit également une carrière de théâtre. C'est l'Orchestre Symphonique de la Radio de Vienne qui joue ce programme, avec élégance et raffinement.

AB