Chroniques

par laurent bergnach

Karol Szymanowski
Écrits sur la musique

Symétrie (2018) 322 pages
ISBN 978-2-36485-0651-1
Symétrie publie des écrits sur la musique de Karol Szymanowski (1882-1937)

Né dans une famille extrêmement cultivée, Karol Szymanowski (1882-1937) commence le piano vers l’âge de sept ans, un instrument pour lequel est conçu Neuf préludes (1900), son premier opus. Il poursuit des études musicales à Varsovie, auprès de Marek Zawirski (harmonie) et Zygmunt Noskowski (contrepoint, composition), puis participe à la création de la Société d’édition des jeunes compositeurs polonais, également appelée Jeune Pologne (Młoda Polska), dont les concerts hérissent la critique conservatrice. Fin 1911, Szymanowski s’installe à Vienne et voyage énormément (Italie, Afrique du Nord, Amérique, etc.). En 1927, il est nommé directeur du conservatoire de Varsovie, ce qui l’entraîne dans une lutte acharnée avec des pédagogues d’un autre temps. Sa santé, déjà précaire, se fragilise. En avril 1931, il renonce à ce poste officiel et se décide à des tournées mondiales, afin de gagner sa vie. Atteint de tuberculose, le musicien meurt au sanatorium de Lausanne.

Pour la premier fois en France, Symétrie rassemble des écrits de l’auteur de Król Roger (1926) [lire notre critique du DVD], soit une trentaine d’essais, études et hommages, pour la plupart publiés en revue dans les années vingt (Muzyka, Skamander, etc.), qui viennent compléter la biographie parue il y a une dizaine d’années chez Fayard [lire notre critique de l’ouvrage]. Ceux-ci mettent en relief les convictions du musicien – l’une d’elle étant, comme le résument les traducteurs Christophe Jezewski et Claude-Henry du Bord dans l’introduction du volume, qu’il faut aborder l’éducation musicale « comme un élément constitutif de toute cohésion sociale, une pédagogie de la démocratie en marche ».

Ce que dénonce sans fin Szymanowski – enseignement oblige, il ressasse très souvent d’une année sur l’autre –, c’est l’hégémonie du romantisme, ce paradis perdu des uns devenu prison étouffante des autres (« malgré ma plus profonde admiration pour le génie de Richard Wagner, c’est justement à lui que je dois mes mauvaises habitudes musicales dont je me débarrasse avec obstination aujourd’hui encore », 1928). En terre nationale, comment se libérer de ce qu’il nomme « une affaire inactuelle : pire inorganique », alors que d’autres pays se détournent du moribond avec succès, et jusqu’à l’Allemagne elle-même, via La nouvelle objectivité ? Loin du « naturalisme brutal » d’un Strauss, Szymanowski cite très souvent le souffle frais apporté en France par Debussy et Ravel, mais aussi par l’exilé Stravinsky, dont l’origine polonaise paternelle est rappelée avec fierté (Strawiński). La musique folklorique, celle des montagnes en particulier, apparaît désormais comme une source vivifiante.

Au milieu de confrères admirés (Bach, Beethoven, Mozart), estimés (Auric, Bartók, Dukas, Dvořák, Falla, Milhaud, Moniuszko, Poulenc, Prokofiev, Schreker) ou fustigés (Mendelssohn, Satie, Schönberg, Żeleński), et parmi quelques critiques sournois et défaillants qui déshonorent leur mission, la figure de Fryderyk Chopin se détache, quasi-divine. Outre les discours prononcés lors de commémorations officielles, on trouve dans ces pages de multiples occasions d’encenser un ambassadeur parvenu à exprimer, comme nul autre, la dignité humaine universelle sans rien perdre de son originalité nationale. « Il fut l’un des plus grands “révolutionnaires” de la musique, insiste-t-il, car, en faisant s’ébranler le traditionalisme formel et “spirituel”, il lui ouvrit la voie vers la liberté » (1923).

LB