Dossier

entretien réalisé par bertrand bolognesi
munich – 4 juillet 2010

Kent Nagano

rencontre autour d’Olivier Messiaen et de l’inauguration de l’Auditorium de Montréal
le chef californien Kent Nagano photographié par Benjamin Ealovega
© benjamin ealovega

C’est à la fois dans l’enthousiasme de la prochaine inauguration du tout nouvel Auditorium de Montréal (cycle de concerts du 7 au 13 septembre) et autour de la première munichoise de Saint François d’Assise d’Olivier Messiaen que nous rencontrions maestro Nagano cet été. Avec le patron de l’Orchestre Symphonique de Montréal, nous évoquons sa passion pour la musique du compositeur français, les festivités québécoises de septembre et, bien au-delà, une certaine façon de penser le concert, de vivre la création

Il y a quelques jours, vous dirigiez la première représentation munichoise de Saint François d’Assise, l’opéra d’Olivier Messiaen. Peut-on dire que vous avez une relation privilégiée avec cette musique ?

Oui, car en son temps maître Messiaen lui-même m’en livra les clés. Pour moi, tout a commencé à l’école où, parallèlement à l’étude du piano, celle de l’orgue était obligatoire. Les grandes pages pianistiques de Messiaen ont donc été ma première introduction à son œuvre ; puis il y eut ses vastes cycles – incontournables ! – qu’il écrivit pour son instrument, l’orgue. Plus tard, lorsque j’ai pris en main un orchestre pour la première fois, j’ai commencé à diriger ses pages symphoniques. Il était assez aisé de se documenter, d’entrer dans l’atelier du musicien, grâce aux nombreux écrits que Messiaen publia sur son propre travail. Ainsi ai-je pu, à le lire, mieux ccomprendre les structures, la construction, la langue particulière, etc. Pourtant, le style, le son, la couleur me manquaient. Ça restait un mystère. Dans une partition, toute indication demeure relative. Que veut dire animato ? vif ? ou encore presque vif ? Certes, il y a du sens, mais, la plupart du temps, ces mots visent assez vaguement l’esprit de la musique qu’ils indiquent.

Est-ce la raison pour laquelle vous vous êtes rapproché de l’homme Messiaen ?

Dans les années soixante-dix, il n’était un secret pour aucun musicien qu’Olivier Messiaen était l’un des plus grands compositeurs du XXe siècle : pour quelqu’un qui voulait lui aussi écrire de la musique, devenir compositeur – ce qui à cette époque était mon cas –, il n’aurait pas été pensable de ne pas le rencontrer, je crois. Mais au fond, c’est principalement parce qu’il me manquait certaines clés pour entrer plus avant dans son univers que je me suis tourné vers lui. J’ai cherché, vous savez ; aux USA, au Canada. Mais je n’ai rien trouvé. Il n’existait ni méthode ni personne pour m’aider. En désespoir de cause, j’ai écrit une lettre – une bouteille à la mer – que j’ai adressée à maître Olivier Messiaen, Conservatoire de Paris, Paris, France (rires) !

Et non seulement la lettre est arrivée, mais encore Messiaen lui-même vous a répondu…

Oui, et ce fut le début d’une longue relation. Dans notre correspondance, il m’expliqua avec beaucoup de détails ses intentions, son imagination, son inspiration, sa vision, pour chacune des œuvres sur lesquelles je le questionnais et que j’allais alors diriger dans un cycle de concerts que je leur consacrais. Progressivement, nous sommes devenus de plus en plus proches. Au moment de Saint François d’Assise, il m’a proposé de participer à l’élaboration de cette grande première à Paris. Devant mon enthousiasme, il m’a invité à venir vivre pendant un an avec Madame Loriod et lui-même. C’était généreux, et vraiment très précieux pour moi : il ne s’agissait plus seulement d’absorber sa musique mais de s’imprégner complètement de son contexte culturel. Pour le jeune chef que j’étais, c’était fou ! C’est incontestablement le plus beau cadeau qui m’ait jamais été fait. Jusqu’à ce moment-là, je n’avais exercé qu’aux USA ; Messiaen m’offrait, en plus d’un accès incroyable à sa création, une voie active vers la culture européenne.

En tant qu’américain, la culture européenne vous semblait-elle difficile d’accès ?

S’il s’agit de lire une partition, non, ce n’était pas difficile, bien sûr. Mais ce n’est pas suffisant. Rien que la confrontation à la langue est un grand enrichissement, par exemple. À la fois chauvins et paresseux (rires), les Américains partent du principe que tout le monde n’a qu’à parler anglais. Évidemment, on apprend différentes langues étrangères à l’école ou à l’université, mais l’occasion d’une vraie pratique ne se présente presque jamais, les endroits où on les parle étant forcément loin. Je suis arrivé en France chez Olivier Messiaen et Yvonne Loriod : ils ne parlaient pas un mot d’anglais ! Quel meilleur encouragement pour apprendre très vite le français (rires) ? J’étais obligé de m’y mettre. Si l’on prend le répertoire européen comme base de toute la musique, alors il faut connaître les langues et les cultures qui le nourrissent. Après le français, les prochaines étapes furent l’italien puis l’allemand. La relation avec Messiaen fut donc riche, féconde, à plus d’un titre. Il était bien sûr un grand compositeur, un immense professeur, un esthète, mais surtout un maître ; pas un ami, un guide.

Ce dut être une expérience formidable que de vivre la création de Saint François « de l’intérieur », pour ainsi dire…

En 1983, tous ceux qui travaillaient au Saint François, comme moi, ont perçu que forcément ce grand opéra allait durer. Personne n’est capable de prévoir le futur, et pourtant, nous étions tous certains que quelque chose de très important et de durable était en train de naître. Regardez : aujourd’hui, Saint François d’Assise n’est pas si rare à la scène. On ne le donne pas tous les ans, bien sûr, mais il est régulièrement joué, aussi régulièrement que le Ring, par exemple, ou Parsifal. Voilà une œuvre qui, aujourd’hui, parle au public.

Il n’est pas anodin de présenter une œuvre lyrique comme Saint François d’Assise. Comment regardez-vous, vivez-vous peut-être, sa dimension spirituelle ?

On sait tous la foi d’Olivier Messiaen. Il s’en est volontiers ouvert dans ses écrits où l’inspiration religieuse est fréquemment abordée. Mais lorsqu’un élève ou un journaliste lui demandait « faut-il être catholique pour apprécier pleinement votre musique ? », il répondait, non sans sourire, en invitant le questionneur à interroger Johann Sebastian Bach. Ceci étant dit, il parlait de l’inspiration de chaque artiste – la sienne étant plus catholique que d’autres, en effet – de cette inspiration qui porte l’artiste jusqu’à la création. Il attendait non pas qu’on aborde son œuvre de son propre point de vue mais, au contraire, que chacun la reçoive dans sa quête personnelle, même si elle pouvait paraître opposée. En d’autres termes, l’écouteur doit amener son inspiration, sa foi qui n’est pas forcément religieuse (c’est ce qu’il voudra, ça ne regarde que lui), pour entendre vraiment une œuvre.

Au-delà de cette conversation autour de Messiaen, voulez-vous dire que chacun est porté par quelque chose de fort, qu’on l’appelle foi ou inspiration ?

le chef californien Kent Nagano photographié par Benjamin Ealovega
© benjamin ealovega

Si vous scrutez les civilisations en chaussant des lunettes d’anthropologues, vous voyez que partout sur terre et de tous temps les hommes n’ont pas limité leurs habitus de vie et leurs investigations aux frontières concrètes. Toujours ils ont cherché plus loin. On a le courage, l’imagination, les visions, la créativité, tout ce qui nous porte bien au delà de la réalité objective. Cette aptitude particulière à voir hors de soi-même, c’est cela, le spirituel. Aujourd’hui, c’est encore plus vrai que jamais, il me semble. Car le monde où nous vivons est très dur. Lorsqu’on va au concert, on vit une expérience métaphysique. Quand le concert est particulièrement bon, il nous emmène ailleurs, hors de la salle, hors de soi. Ailleurs – je ne sais où. À un certain moment, l’on redescend dans son fauteuil. Parfois la tension est si grande après l’exécution réussie, inspirée d’une œuvre, que personne n’applaudit à la fin, une minute entière peut alors s’écouler avant que quelqu’un joigne ses mains : c’est une tension véritablement existentielle. L’émotion que l’on ressent à regarder une peinture, par exemple, est très différente. Car la musique, elle, est fluide ; elle est fragile parce que finie dès que l’entend, mais elle touche, elle illumine la sensibilité. Sans doute est-ce pour cela qu’elle est si proche du religieux, depuis toujours, et qu’on la situe au cœur des villes. Pensez à ce que l’on voit depuis l’avion en survolant Paris : cette formidable étoile de boulevards et d’avenues qui se rassemblent sous l’Opéra, c’est magnifique !

Votre présence à Munich a renouvelé l’intérêt pour l’opéra français. Était-ce un choix délibéré ?

Oui, et c’est une chance d’avoir pu le faire. Dans les établissements allemands, on n’a pas beaucoup l’occasion de s’intéresser à l’opéra français. Mis à part Werther (Massenet) et Faust (Gounod), bien sûr, mais c’est lié à Goethe, ça ne compte pas. Autrefois, l’opéra français a connu de grands moments outre-Rhin ; pensez à Berlioz, à Saint-Saëns… mais c’est une vieille histoire. À Munich, je souhaitais que certaines œuvres trouvent enfin leur place dans le répertoire de la Staatsoper. Ce sera le cas prochainement avec Les contes d’Hoffmann (Offenbach). J’ai également présenté Dialogues des carmélites (Poulenc) [lire notre chronique du 9 juillet 2010], etc. Il ne s’agit pas de chercher à redéfinir notre répertoire. Nous sommes bien évidemment la maison d’Orlando di Lasso, la maison de Mozart, de Wagner, de Strauss. Je ne veux pas changer sa tradition, mais je crois qu’elle s’enrichit, s’éclaire même, à élargir son spectre à la rencontre d’un autre répertoire. Le public doit avoir la chance d’aborder des chefs-d’œuvre venus d’autres traditions pour apprécier d’autant mieux, comprendre plus encore, ceux qui font la sienne. Il y a là une complémentarité essentielle. C’est pourquoi il me semblait important d’amener ce fil de la musique française, ces dernières années. L’arrivée de Saint François d’Assise prend un jour particulier, ici, à Munich, où la culture catholique est forte – je dis bien « culture catholique » et non religion, car l’inscription catholique de la Bavière induit tout un contexte profus que vous voyez dans sa peinture, son architecture et, bien sûr, sa musique. C’est dans une « Allemagne latine » que nous sommes, pourrait-on dire ! L’influence de l’Italie et, plus tard, de la présence napoléonienne ont leurs effets jusqu’aujourd’hui. Saint François vivait en Italie, un pays qui n’est vraiment pas loin de Munich, géographiquement parlant ; c’est déjà un repère pour le public bavarois. Les personnages de l’opéra de Messiaen ont des caractères tranchés auxquels le spectateur peut facilement s’identifier. Léon, par exemple, qui a toujours peur ; il n’a pas confiance en lui, mais, surtout, il n’a pas confiance en l’avenir qu’il ne peut pas voir : l’homme d’aujourd’hui n’est-il pas comme lui, agité, nerveux même, voire angoissé ? Ou encore Bernard, si soucieux d’absorber l’enseignement de François afin de le transmettre fidèlement : nous sommes tous comme lui… Cette histoire parle aux gens, c’est certain. Pour toutes ces raisons nous avons fait le pari d’ouvrir l’édition 2011 du Münchner Opernfestspiele avec Saint François d’Assise. Vous l’avez vu ?

J’y serai demain.

Ah ! Vous m’en reparlerez [lire notre chronique du 5 juillet 2011]…

Vous avez choisi Turangalîla Symphonie de Messiaen pour lancer la nouvelle saison de votre Orchestre Symphonique de Montréal et, par la même occasion, couronner la semaine de concerts inauguraux du tout nouvel auditorium où il prendra désormais résidence…

J’ai beaucoup joué la Turangalîla et je l’ai enregistrée avec Pierre-Laurent Aimard, il y a une dizaine d’années. Mais depuis mon arrivée à Munich, je ne l’ai plus donnée. Le répertoire de la maison était concentré sur d’autres compositeurs : il fallait attendre que le moment soit venu avant de pouvoir jouer Messiaen. J’ai revisité Turangalîla Symphonie pour trois raisons. D’abord, je sens, de même que la plupart des gens, je crois, que le XXe siècle est vraiment terminé, maintenant. Il serait faux de dire que le XXIe siècle a commencé avec l’an 2000 ; ce n’est pas si simple. Mais aujourd’hui, en 2011, lorsqu’on parle des années quatre-vingt, on a l’impression qu’il y a longtemps, vraiment très très longtemps. Avec cette perspective nouvelle, on réalise aujourd’hui que certaines œuvres, certains compositeurs, sont extraordinaires, essentiels, et compteront toujours dans l’avenir. Le public comme les instrumentistes, les musiciens, les directeurs d’orchestre et les critiques tombent d’accord. Mahler, Schönberg, Berg, Chostakovitch, Debussy, Ravel, Messiaen ou Boulez : il ne viendrait à l’idée de personne de contester maintenant leur place dans le répertoire, n’est-ce pas ? Il y a quinze ans à peine, XXe siècle était synonyme d’avant-garde, mais une distance fait entendre différemment les choses à présent. J’ai donc souhaité ouvrir le nouvel auditorium avec le répertoire compris dans son sens le plus large. La deuxième raison est le lien particulier entre le Québec et la France. La France a amené la civilisation européenne en Amérique du nord – le Québec est beaucoup plus vieux que le reste du Canada et que les USA. Ce lien n’a jamais été rompu. Voilà pourquoi il m’a semblé primordial que nos concerts inauguraux « réfléchissent » la culture française. Enfin, la pianiste Angela Hewitt est une grande artiste canadienne – elle est d’abord une grande artiste et, ensuite, par hasard, il se trouve qu’elle est canadienne. Elle voulait depuis longtemps jouer la Turangalîla. Nous arrivons à la troisième raison de mon choix : la transmission. J’ai eu le privilège de connaître l’œuvre de Messiaen « en direct », si je puis dire, par lui-même et par Yvonne Loriod, et, parce qu’il était un grand professeur, de la jouer avec des interprètes qui avaient bénéficié de son enseignement. Il me semble important de pouvoir maintenant transmettre cet héritage particulier à une nouvelle génération. En résumé : le choix de Turangalîla Symphonie, c’est à la fois le grand répertoire, l’expression du lien constant entre Québec et France, et la transmission de ce que ma génération a directement reçu de Messiaen.

le chef californien Kent Nagano photographié par Benjamin Ealovega
© benjamin ealovega

L’Auditorium de Montréal sera inauguré le 7 septembre par la Neuvième de Beethoven, précédée de trois œuvres canadiennes d’aujourd’hui (programme donné également les 9 et 10). Pourquoi ?

La création de cette nouvelle salle est un événement exceptionnel. Comme chacun sait, le climat économique mondial n’est pas facile et guère favorable à ce genre de chose. C’est une action symbolique forte de la part du Québec. Qu’est-ce que c’est, une salle de concert ? C’est un lieu où aller écouter des concerts, d’accord. Mais c’est aussi un lieu où se rencontrent des gens qui viennent les écouter et, au delà de la représentation sociale, un lieu où ces gens témoignent ensemble leur participation à la culture, à la création artistique. L’art n’est pas qu’un moyen de communiquer ; l’art est avant tout un chemin de pensée, une voie spirituelle. Dans une salle de concerts se brassent l’esthétique, l’approche de l’avenir et du passé, l’inscription de la musique dans la société d’aujourd’hui, etc. Bref, c’est le fondement de la culture qui s’y discute. Voilà pourquoi toutes les grandes villes ont une salle de concert en leur centre. Rendez-vous compte que jusqu’à présent il n’y a jamais eu cela au Québec ! Il y a un immense Palais des Congrès où des choses complètement différentes se passent : des concerts, des opéras, des ballets, des salons commerciaux (informatiques, automobiles, tout ce que vous voulez), des congrès (économiques, religieux, politiques), des conférences, des colloques, des remises de diplômes, des meetings de scouts, etc. Ce genre de construction était à la mode en Amérique du nord, ces cinquante dernières années. Un tel lieu a forcément été conçu avec 100% de compromis ! Comment peut-on jouer une symphonie de Haydn dans une salle de 3500 places dont l’acoustique n’a jamais été pensée pour cela, par exemple ? Aujourd’hui, si la communauté québécoise a réclamé la création d’un auditorium spécifique, cela veut dire que le Palais des Congrès n’est plus suffisant à une société qui a beaucoup évolué culturellement. Par rapport à la France, la culture au Québec, ce n’est que quatre cent ans ; presque rien, et cependant la plus vieille de toute l’Amérique du nord. Aujourd’hui, l’édification d’une vraie salle de concert marque une nouvelle ère : la volonté de transmettre aux prochaines générations une nouvelle façon d’aborder l’art. Ce n’est pas rien ! S’exprime là une maturité culturelle qui voit l’avenir autrement qu’avec des chiffres, mais avec la transmission et la création, valeurs porteuses d’un grand optimisme. C’est la raison pour laquelle la construction elle-même est symbolique : il est clair que s’y jouera la musique des grandes traditions européennes, mais tous les matériaux utilisés pour la faire sonner, l’offrir au public et accueillir ce public, sont strictement originaires du Québec. Le bois, bien sûr, mais aussi les tissus, les plâtres, l’acier, sans oublier le grand orgue Casavant : bref, cette salle de concerts sera un instrument 100% québécois.

Ce symbole se prolonge dans le programme du concert inaugural, puisque les premiers sons à retentir dans l’auditorium seront québécois, eux aussi. Claude Vivier est peut-être le compositeur le plus important du Québec. Décédé en 1983, on peut dire qu’il représente déjà le passé. En quelque sorte, Vivier est le grand-père de la musique québécoise, Gilles Tremblay en est le père et Julien Bilodeau (né en 1975), dont on donnera une œuvre en création mondiale, est le fils. Si Vivier a eu un lien indirect avec Messiaen, Tremblay fut son élève à Paris ; il y a donc une logique parfaite entre les différents concerts inauguraux. Entre l’exécution de ces trois œuvres contemporaines – Jesus erbarme dich de Vivier, Envol:Alléluia de Tremblay et Qu’un cri élève nos chants de Bilodeau –, quatre poètes québécois viendront dire leurs vers qui développent les idées portées par l’ode de Schiller qui sera chantée dans la Neuvième de Beethoven en fin de soirée. Cette symphonie est une des rares œuvres à vraiment rassembler les gens. Avec une page aussi bien connue que celle-ci, le danger est qu’une sorte de routine s’installe à l’écouter et que, du coup, le poème de Schiller ne soit plus entendu, au fond. Personne ne réfléchit à son sens, aux idées qu’il véhicule (de liberté, de fraternité, de partage), à ce qu’il veut dire. Voilà pourquoi il est nécessaire que les poètes contemporains le transmettent à leur manière, dans la respiration d’aujourd’hui. Croyez-vous que les idéaux de la Révolution française soient désormais universels ? Il suffit de se pencher quelques secondes sur l’actualité mondiale pour savoir que ce n’est absolument pas le cas. Raison de plus pour les répéter, les clamer d’autant plus fort.

Pourquoi avez-vous également tenu à diriger un concert destiné aux jeunes (dimanche 11 septembre, à 14h30) ?

C’est avant tout vers l’avenir que cette nouvelle salle de concert nous porte, cela va de soi. Alors, outre les deux programmes évoqués – à savoir Vivier, Tremblay, Bilodeau et Beethoven (Neuvième), puis Glazounov, Tchaïkovski et Messiaen (Turangalîla), je dirigerai un concert tout spécialement conçu pour les jeunes, avec Carnaval des animaux (Saint-Saëns), Pierre et le loup (Prokofiev) et La boîte à joujoux (Debussy). C’est primordial, me semble-t-il. De même qu’afin de révéler que le Québec disposera pour la première fois de vraies conditions pour jouer le répertoire chambriste, le Quatuor Borodine donnera la Grande variation de Beethoven et le Quinzième quatuor de Chostakovitch. Sans oublier la journée portes-ouvertes ! D’habitude, les grandes inaugurations de ce genre sont réservées à une élite d’élus, de professionnels et de mondains, et aucune place n’est disponible à l’achat pour qui ne fait pas partie de cet aréopage. Pourtant, c’est la communauté québécoise qui a demandé à l’État d’édifier cette salle de concert. Alors, j’ai souhaité une journée portes-ouvertes à laquelle chacune des dix-sept régions administratives du Québec enverra un musicien ou un ensemble (police band, orchestre traditionnel du XVIIIe siècle, accordéoniste, etc.). Ces musiciens seront les tout premiers à jouer à l’Auditorium, dans un moment accessible à tout le monde. Au final, je dirigerai la Neuvième en avant-première pour la communauté qui ainsi pourra l’entendre avant que l’officiel tapis rouge soit déroulé. C’est ma façon d’ouvrir le monde à la musique et la musique au monde.