Chroniques

par laurent bergnach

Klaus Huber
pièces avec flûte

1 CD Stradivarius (2016)
STR 37039
Jean-Luc Menet dans des pièces avec flûte de Klaus Huber

Né à Berne en 1924, Klaus Huber étudie le violon avec la Hongroise Stefi Geyer (1888-1956) au conservatoire de Zurich, ainsi que la composition avec Willy Burkhard, de 1947 jusqu’au décès du créateur et pédagogue survenu en 1955. Logiquement, on peut penser que l’enseignement d’un ennemi des expressions surannées eut sur le cadet une plus grande influence que celui d’une seule année berlinoise avec Boris Blacher – l’auteur d’un sémillant Preußisches Märchen (1952) [lire notre critique du DVD]. En 1959, la création romaine de la cantate de chambre Des Engels Anredung an die Seele lui vaut une renommée internationale et l’opportunité d’enseigner en Europe. On l’accueille à Lucerne, Bâle, Bilthoven et surtout à Fribourg-en-Brisgau où, de 1973 à 1990, il forme nombre de jeunes confrères (Jarrell, Rihm, Schöllhorn, etc.). Bientôt l’attendent Amériques du Nord et du Sud, et aussi l’Asie.

D’un homme qui n’a jamais renié ses racines dans les pratiques de composition médiévale et sérielle, ni ses convictions chrétiennes, l’ancien élève Brian Ferneyhough écrit : « on peut qualifier son art d'humaniste dans un double sens : celui de la fidélité au concept traditionnel de "métier" et dans celui, légitime, de la demande constante qu'il fait à la musique d'être un ultime véhicule visionnaire d'idéaux hautement éthiques. Dans le même temps, Huber est tout autre qu'un ermite mystique de la modernité finissante : à l'encontre d'Adorno, il n'accepte pas le point de vue agnostique selon lequel l'autonomie intégrale de l'œuvre d'art d'avant-garde est la garantie nécessaire et suffisante de son authenticité ».

Sauf indication contraire [*], les neuf pièces réunies par Stradivarius convoquent la flûte alto de Jean-Luc Menet. Écrit dans le cadre d’une soirée musicale et littéraire, To ask the flutist* (Basel, 1967) découle du titre Askese (flûte, récitant et bande), lequel s’inspire d’un texte savoureux de Günter Grass, lu par le compositeur en guise d’introduction. Virtuose et contrastée, cette courte page peut évoquer le chat du poème si l’on y entend feulements, chuchotis et ronronnements. Dans Intarsimile (Genève, 2010/2012), ce sont plutôt des volètements qui surprennent, encadrant, d’abord joyeux puis résignés, des stridences inquiètes. Initialement destinée au violon, cette commande du concours Long-Thibaud puise son matériau dans deux opus orchestraux qui convoquent le piano (Intarsi et Intarsioso).

Beaucoup de pièces d’Huber portent le nom de Plainte – Lieber spaltet mein Herz, nées d’une Plainte originale pour viole d’amour, dédiée à Luigi Nono. Le poème de Mandelstam qui les inspire (Je suis égaré dans le ciel) infuse son évocation mortuaire dans deux d’entre elle, avec résonateurs virtuels ou théorbe (Caroline Delume). La première est désolée, la seconde tendrement intimiste. De même, Ein Hauch von Unzeit I* se décline en plusieurs versions dont une récente pour flûte basse (2004) [lire notre chronique du 28 avril 2011]. L’électronique superpose la même partie en réenregistrement. Affiliée au madrigal mais de forme ouverte, la pièce part d’un lamento signé Purcell en formant arrière-fond épaissi par des superpositions. C’est la page la plus longue du disque (dix-huit minutes) – et aussi la moins à notre goût.

Deux trios, pour finir.
L’âge de notre ombre (Paris, 1998) pour flûte, harpe (Véronique Ghesquière) et viole d’amour (Pierre-Henri Xuereb) invite l’Ensemble Alternance à un travail sur le tiers de ton, dédié à Gérard Grisey. Une nudité plane, introspective en constitue la plus grande part, avant l’arrivée d’événements contrastés (traits lyriques, harmoniques, pizz’, etc.). À l’origine pour contre-ténor et viole d’amour (2007), Vida y muerte no son mundos contrarios résonne ici avec un théorbe. La flûte japonisante offre un paysage gelé que vient réchauffer la voix de Magid El-Bushra et les mots d’Octavio Paz.

LB