Chroniques

par laurent bergnach

Krzysztof Penderecki
Passion selon Saint Luc

1 CD Naxos (2003)
8.557149
Krzysztof Penderecki | Passion selon Saint Luc

Après des travaux d'orchestre aussi radicaux que Thrène (à la mémoire des victimes d'Hiroshima) en 1961, et Fluorescences l'année suivante, l'apparition du Stabat Mater de Krzysztof Penderecki provoqua du remous dans les milieux d'avant-garde. À l'écoute de cette œuvre plus simple, directement émotionnelle, on accusa le compositeur de devenir réactionnaire, de tourner le dos au progrès musical. Elle était en tout cas un acte de courage : écrire une œuvre de dévotion catholique en pleine Pologne post-stalinienne, en faire la première expression de foi musicale dans le pays depuis la Seconde Guerre mondiale, justifierait sa seule existence. Penderecki a souvent dû s'expliquer sur son parcours :

« lorsque j'ai écrit Threnos, il me semblait m'être entièrement éloigné de la tradition. Cette attitude résultait du besoin de réfutation et de révolte envers tout ce que j'avais appris lors de mes études, mais aussi envers la musique avec laquelle j'ai grandi des années durant (...). J'avais rapidement senti comme superficielle l'opposition entre avant-garde et tradition. On ne peut se couper du passé musical sensu stricto et moins encore du patrimoine culturel au sens le plus large. Je voulais que ma musique fût une expression de moi-même et je cherchais des moyens authentiques et modernes pour reformuler les thèmes les plus anciens ».

Écrit pour trois chœurs mixtes a cappella en 1962, ce Stabat Mater sera intégré par la suite à la Passion selon Saint Luc. La version complète est créée le 30 mars 1966, à la Cathédrale allemande de Munster. « Ma Passion selon Saint Luc, je n'aurais pas pu l'écrire sans avoir étudié de façon très approfondie l'œuvre de Johann Sebastian Bach et la polyphonie baroque » (avril 1986). Cette partition pour soprano, ténor, basse, narrateur, chœur, chœur d'enfants et orchestre s'inspire en effet de celles de son aîné. Le chemin de la Crucifixion est relaté à l'aide de séquences narratives, d'airs et de choral. Au texte original de l'Évangéliste s'ajoute des extraits de psaumes, d'hymnes, d'antiphonaires. Les solistes incarnent un ou plusieurs personnages.

« Je suis originaire d'une petite ville de Pologne et le seul endroit où l'on pouvait écouter de la musique était l'église. C'est là que j'ai découvert la voix, les voix. La voix est le meilleur moyen de communiquer. » La musique vocale et religieuse représente d'ailleurs une part importante de l'œuvre du compositeur : depuis Les Psaumes de David créé en 1958, jusqu'au Credo de 1998, signalons entre autres un Dies Irae (1967), un Magnificat (1974), un Benedictus (1993), etc. Et quand on lui demande quelle pourrait être son ultime composition, il répond qu'il aimerait que ce soit un oratorio de Noël. « Issue de racines profondément chrétiennes, ma création tend au rétablissement de l'espace métaphysique qui est propre à l'homme et a pourtant été ruiné par les cataclysmes du 20ème siècle. Il n'y a qu'une seule manière de sauver l'homme, c'est de rétablir la dimension sacrée du réel. L'art devrait être la source de ce difficile espoir » (1996).

Le soprano Izabela Kłosińska travaille principalement avec le Grand Théâtre de Varsovie. Elle a fréquenté les rôles classiques (Mimi, Violetta, Liú) ainsi que d'autres plus contemporains : Roxana dans Le Roi Roger (1926) de Szymanowski, et Eve dans Le Paradis Perdu(1978), un des quatre opéras de Penderecki. De ce dernier, elle a chanté également le Credo et Les Sept Portes de Jérusalem. Autre habitué des rôles du répertoire (Sharpless, Don Giovanni, Macbeth), le baryton Adam Kruszewski incarne ici le Christ, tandis que la basse Romuald Tesarowicz tient les rôles de l'Apôtre Pierre, de Pilate et du Bon Larron. Lui aussi connaît bien l'œuvre du compositeur polonais, puisqu'il a interprété plusieurs de ses œuvres religieuses – Requiem et Te Deum. Krzysztof Kolberger est comédien, proche du Théâtre National de Varsovie. Il a de nombreuses fois était le narrateur d'oratorio tel que Jeanne au bûcher d'Honegger ou la présente Passion.

Antoni Wit – qui eu Penderecki comme professeur de composition, lors de ses études à l'Académie de musique de Cracovie – dirige l'Orchestre Philharmonique de Varsovie. Le mélomane retrouvera ici les effets et la grandiloquence des Diables de Loudun, dans une interprétation extrêmement dynamique, souvent tendue.

LB