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Chroniques
Kurt Weill
Symphonies n°1 et n°2 – Lady in the Dark (extraits)
L'image de Kurt Weill souffre encore de son émigration aux États-Unis. Qu'un compositeur engagé à l'extrême gauche, pourfendeur avec Brecht des travers de la société capitaliste, devienne l'un des plus brillants artistes de Broadway reste incompréhensible pour beaucoup de mélomanes. Si l'Opéra de quatre sous et Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny s'imposent peu à peu au répertoire, le reste de l'œuvre du mari de Lotte Lenya ne connaît que rarement les honneurs du disque et du concert.
La Symphonie n°1 (1921), en un mouvement, est l'œuvre d'un compositeur de vingt-et-un ans. Juste admis, comme élève de Busoni, à l'Académie prussienne des Arts de Berlin, le jeune artiste nous livre ce bloc granitique et étincelant d'une durée d'une demi-heure. D'une structure très élaborée et complexe, cette symphonie apparaît comme le diamant brut d'un compositeur surdoué auquel il manque un zeste de maîtrise. La genèse de la Symphonie n°2 est plus complexe. En 1933, Weill fuit l'arrivée au pouvoir d’Hitler, il gagne Paris où la princesse Edmond de Polignac lui commande cette partition. L'œuvre sera présentée, en 1934, par Bruno Walter à Amsterdam. La variété des climats, la hauteur de l'inspiration et l'inventivité de l'orchestration séduisent d'emblée. La noirceur des climats résonne en écho à la gravité des événements historiques.
La discographie des symphonies de Kurt Weill repose sur les intégrales, à la diffusion malheureusement aléatoire, d'Edo de Waart à la tête du Gewandhaus de Leipzig (Philips) et de Gary Bertini à celle du BBC Orchestra (EMI). Il faut aussi compter avec Wolfgang Sawallisch qui nous offre une grande lecture de la première symphonie (Orfeo), alors que Mariss Jansons fait rutiler la Philharmonie de Berlin dans la seconde symphonie (EMI). Marin Alsop et son Bournemouth Symphony Orchestra inscrivent leur performance au sommet de la discographie. L'Américaine replace l'œuvre dans l'esprit de l'avant-garde de l'entre-deux-guerres et de l'Opéra de quatre sous : le ton est rapide, léger mais précis et pugnace. La musicienne allège au maximum les textures là où l'on situe traditionnellement ces deux partitions dans la lignée du romantisme allemand.
Ces deux symphonies étant assez brèves, Naxos nous offre en complément une succession d'extraits de Lady in the Dark réunis dans une suite de concert par Robert Russell Bennet. Composée en 1940 en collaboration avec Moss Hart et Ira Gershwin, Lady in the Dark est caractéristique des années américaines de Weill. On reconnaît le brio de l'orchestration et l'inventivité mélodique pour une partition qu'il serait grotesque de qualifier de mineure. Curieusement, Marin Alsop a tendance à alourdir le propos : l'ensemble est très maîtrisé, mais on aimerait plus de légèreté dans ces extraits d'une comédie musicale. Ce petit reproche ne doit pas occulter l'importance de ce disque qui offre, à tarif économique, une interprétation quasi-définitive d'œuvres géniales de l'un des plus grands maîtres du vingtième siècle.
PJT