Chroniques

par laurent bergnach

Kurt Weill
Lady in the dark | Une dame dans les ténèbres

1 DVD VAI (2016)
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"Lady in the dark" (1941), comédie musicale de Weill, à la télévision en 1954

Depuis son arrivée à New York en septembre 1935, Kurt Weill (1900-1950) ne cesse de clamer son amour pour l’ultime pays à accueillir son exil, après la France et l’Angleterre. Déjà à Berlin, « la ville la plus américaine d’Europe », il lisait Hemingway, London et Dos Passos, admirait les films d’Hollywood et acceptait volontiers l’influence des orchestres de jazz. De plus, le compositeur de Knickerbococker Holidayune comédie sur l’enfance de la démocratie américaine » crée en 1938) salue « la richesse et la beauté des chansons folkloriques américaines » et juge les spectateurs de Broadway bien plus ouverts à l’expérimentation que ceux d’Europe. Pour Aufbau-Reconstruction, le mensuel attaché à la diaspora juive qui l’approche en 1942, il illustre son propos en évoquant le succès éclatant de Lady in the Dark :

« La nouveauté de la forme a soulevé l’enthousiasme du public. Elle consiste à insérer au sein d’une action réaliste de longues scènes musicales fermées. Le dialogue s’interrompt plusieurs fois pendant un certain temps. Il en résulte une sorte d’opéra avec chœur et ballet. On y trouve des ariosoqui sont plus dans l’esprit de l’opéra de Verdi, et aussi des songs. Ces songs« accrocheurs », vous pouvez les voir comme des « concessions » au goût du public. Mais, artistiquement – cela a été relevé à de nombreuses reprises –, ils sont d’un haut niveau » (in Kurt Weill, De Berlin à Broadway – Écrits, 1924-1950, Cité de la Musique – Philharmonie de Paris, 2021) [lire notre critique de l’ouvrage].

Éditrice d’une revue de mode aux amours compliquées, Liza Elliott suit une cure psychanalytique durant laquelle chaque évocation d’un rêve est l’occasion d’un petit opéra miniature, d’une vingtaine de minutes. Telle est l’histoire imaginée par le librettiste Moss Hart, à laquelle collabore le parolier Ira Gershwin. La comédie musicalevoit le jour à l’Alvin Theatre (New York), le 23 janvier 1941, et reste à l’affiche durant plus de quatre cent soixante représentations [lire notre chronique du 14 février 2009]. En 1944, à son tour Paramount fait recette en adaptant l’ouvrage avec Ginger Rogers, durant une décennie propice à l’exploration des mystères de la psyché – Hitchcock (Spellbound / La Maison du docteur Edwardes, 1945), Siodmak (The Dark Mirror / La double énigme, 1946), Bernhardt (Possessed / La possédée, 1947), etc.

Dix ans plus tard, le 25 septembre 1954, c’est au tour de la télévision d’offrir sa version, abrégeant les parties parlées pour donner plus d’importance aux séquences de rêve. Irwin Kostal signe de nouvelles orchestrations, plus jazzy, tandis que Clay Warnick et Mel Pahl ajoutent deux numéros (The Hobo Dance, Two-Step). Ce soir-là, Charles Sanford était à la direction d’orchestre. Ann Sothern interprète le rôle-titre, doublée par la danseuse Bambi Linn et entourée par Shepperd Strudwick (Dr. Brooks), Carleton Carpenter (Russell), Paul McGrath (Kendall), Robert Fortier (Randy) et James Daly (Charley). Son mono, images en noir et blanc et absence totale de sous-titres ne décourageront pas les amateurs de raretés !

LB